Dans la navette, le temps est passé plus vite que prévu. Évidemment, avec une pipelette comme moi et Keyla qui n'est pas la dernière non plus, nos conversations sont allées bon train. Rien que de savoir que La Nouvelle-Orléans s'éloigne derrière nous, j'ai l'impression de respirer un peu plus — comme si mes problèmes restaient eux aussi quelques kilomètres en arrière, l'espace de cette journée. C'est toujours une expédition de se rendre à Lake Charles, mais le jeu en vaut la chandelle. Pendant le festival, car j'y suis déjà allée une fois avec Ella, tout se transforme en un décor fabuleux de pirates : on se croirait complètement ailleurs. Alors je suis d'une humeur radieuse, encore plus de partager tout ça avec Key. Mine de rien, avec la fac et nos vies bien remplies, c'est moins simple de se voir qu'avant, et ça me manque plus que jamais ; non pas que j'ai été vraiment insouciante dans mon enfance, mais disons que les responsabilités sont de plus en plus pesantes. Je la briefe sur toutes les dernières nouvelles : le nouvel appart avec Leo, mes inquiétudes à son sujet même si je ne rentre pas trop dans le vif du sujet, ma soeur à l'hôtel, son agression qui m'a angoissée plus que jamais, l'ambiance en ville avec le tueur, mais aussi mes cours à l'université, les potes que je me fais, le sujets qui me branchent, et puis mes petits concerts dans les bars, tout ça tout ça. J'essaye de ne pas parler trop fort dans le bus, mais le couple de vieux devant nous m'a à un moment jeté un regard noir — apparemment, ils espéraient dormir, de si bon matin sur la route. Bref. J'ai plus que hâte qu'on arrive, et j'écoute aussi Keyla me raconter sa vie en ce moment. Quelque part me trotte dans la tête un sujet dont j'aimerais bien lui parler — car en lui parlant de mes amis à l'université j'ai immanquablement pensé à Thea et à tout ce qui en découle — mais ce n'est pas le moment, enfin, pas pour l'instant.

Quand on arrive sur le lieu du festival, l'idée est d'abord d'aller voir un peu les animations, pourquoi pas le défilé des pirates, avant de déjeuner et d'aller ensuite voir vers les bateaux, la régate, etc. Rien de bien précis de toute façon, avec Key on a surtout envie de profiter, et l'air légèrement plus frais qu'à La Nouvelle-Orléans fait du bien. Il fait beau et chaud, j'abaisse mes lunettes de soleil et prends le bras de Key. Là-bas, un peu plus loin, on entend de la musique, des bruits : sûrement le défilé du carnaval qui commence. « On va jeter un oeil là-bas ? » On sent déjà les bonnes odeurs des foodtrucks, de la cuisine épicée. « Du coup tu m'as pas dit si ça c'était arrangé avec ta mère ? » Notre conversation ayant été interrompue par notre arrivée, je reprends là où on l'a laissée.

Un week end à Lake Charles pour profiter du festival des pirates, Keyla n'avait pas pu dire non. Sans compter que quelques jours loin de sa famille, après ces dernières semaines assez compliquées, elle n'allait pas dire non. Seul pincement au coeur: elle ne pourrait pas voir sa toute jeune cousine, la petite Sasha. Une arrivée inattendue, mais la brune était tombée amoureuse du bébé dès le premier regard. Et elle avait beaucoup apprécié Anya aussi, qui la laissait venir quand elle le voulait, enfin si c'était possible. Mais elle n'y pensait déjà plus alors qu'elle prenait place dans la navette, aux côtés de Louisa. Deux heures de route qui passèrent à la vitesse de l'éclair, tant les deux amies étaient de vraies piplettes. Les sujets étaient nombreux et enthousiastes, les deux amies racontant entre autres les dernières péripéties de leur vie respective, ou presque, Keyla évitant sciemment de mentionner le fait qu'elle voyait un psychologue depuis peu. Elle ne se sentait pas encore prête à en parler. Même son oncle Noah, son confident, ne le savait pas. Pas encore. Elle avait déjà fait un premier pas en allant voir le médecin, elle avait besoin de temps pour en parler autour d'elle. Et puis les sujets de Louisa étaient plus intéressants. Ou alors le meilleur moyen pour ne pas parler de son petit secret.
Lorsque le couple de vieux devant elles leur jette un regard noir, car le son est trop haut à leur goût, Keyla se retint de rire et s'excuse platement. Trop bien élevée, avant de redonner toute son attention à Louisa. Puis elles finissent par arrive à Lake Charles, où le beau temps règne. Le soleil brille haut dans le ciel, l'occasion pour Key' de sortir ses lunettes teintées et de les mettre sur son nez. Ca sentait la belle journée. Elle est heureuse d'être là, ça peut même se lire sur son visage.

S'arrêtant un instant, Keyla profite de la vue, de cette foule qui fourmille, et profite de la toute légère brise qui souffle dans ses cheveux. Son regard s'égare sur les bateaux à quai sur le lac, avec leur drapeau de pirate flottant dans le vent. Les animations tout autour ont l'air fantastique et les yeux de Key' ne peuvent s'attarder sur toute. Par contre son nez sait reconnaître les bonnes odeurs, tout comme son ventre qui se met doucement à gargouiller. Génial ! Cela la fait sourire alors que Louisa propose d'aller jeter un coup d'oeil plus loin.

- Allons y, tant que ça nous éloigne de ce foodtruck dont les odeurs me donnent faim !

Un léger rire franchit ses lèvres quand elle dit cela, avant de prendre le bras de Louisa et de l'accrocher au sien. Au moins, ainsi liée, elle ne se perdront pas.

- Ah oui, du coup ! On peut dire que oui, mais bon, ça reste quand même parfois tendue par moment.

Elle hausse les épaules en disant cela, avant d'ajouter.

- Et vu qu'elle m'a encouragé lors de notre dispute à prendre mon envol, j'hésite vraiment à me prendre un appartement à la rentrée. Ca m'embête pour mes petites soeurs que j'adore et que je ne verrai plus tous les jours, mais je me dis aussi que ça pourrait me faire du bien.

C'était un sujet en réflexion, mais auquel elle réfléchissait avec sérieux, comme à chaque fois à vrai dire. Elle allait ajouter quelque chose quand soudainement, un coup de canon se fit entendre, pétrifiant sur place la Kirkman. Comme à Atlanta avec son oncle. Même si elle est un peu moins paniquée. Mais ce qu'elle n'aime pas ce genre de bruit... Ses mains tremblent même légèrement, ce qu'elle ne remarque pas de suite d'ailleurs.

On est plus habituées au Carnaval qu'à ce genre de thème mais c'est facile de s'y laisser glisser, et à vrai dire voir des bateaux si grands, près de nous, si ressemblants aux navires qu'on voit dans les films, ça a toujours quelque chose d'impressionnant. Key et moi, on regard ça avec les mêmes yeux de deux gamines émerveillées, et ça fait du bien d'être là en sa compagnie, comme si je devenais quelqu'un d'autre pour une journée. « Allons y, tant que ça nous éloigne de ce foodtruck dont les odeurs me donnent faim ! » C'est le moins qu'on puisse dire : les odeurs sont délicieuses. Je lorgne en leur direction, mais on ira plus tard. Bras-dessus bras-dessous, nous voilà tranquillement parties dans notre discussion. Il y a pas mal de familles autour de nous et des gens déguisés en pirates viennent accoster les enfants, leurs réactions me font rire : certains jouent le jeu mais d'autres, ça se voit, sont complètement terrifiés. « Ah oui, du coup ! On peut dire que oui, mais bon, ça reste quand même parfois tendue par moment. » Mince, alors. Ce n'est jamais cool quand la situation est tendue à la maison, je sais de quoi je parle, même si nos situations sont bien différentes. « Et vu qu'elle m'a encouragé lors de notre dispute à prendre mon envol, j'hésite vraiment à me prendre un appartement à la rentrée. Ca m'embête pour mes petites soeurs que j'adore et que je ne verrai plus tous les jours, mais je me dis aussi que ça pourrait me faire du bien. » Je lui jette un regard plein de surprise. Keyla, quitter le foyer familial ! C'est évidemment quelque chose qui arrive souvent dans nos âges, mais sa famille est si chouette, si spéciale, elle y est si impliquée, au milieu de tous ses frères et soeurs, que ça me fait bizarre de l'imaginer hors de tout ça. « Mais ça te plairait, toi ? Je veux dire... Tu fais pas ça parce que vous vous êtes disputées ? » Je lui presse un peu le bras, affectueusement. « Je comprends, pour tes soeurs. C'est pas facile. Mais c'est super cool d'avoir son endroit à soi... » Depuis que j'habite avec Leo, c'est la première fois que j'ai ma chambre, mon environnement. Un appart' entier, je n'osais même pas imaginer ! « C'est différent mais moi aussi j'ai eu du mal de quitter Ella. Au final, on se voit beaucoup. Elle me manque quand même, mais tu trouveras du temps pour elles, c'est certain ! Ce sera juste un peu différent. »

Tout d'un coup, le visage de mon amie se crispe. Il me fait instantanément penser à celui du petit garçon qui a eu peur du pirate déguisé, quelques minutes auparavant — de la peur, de la peur toute simple. Je la regarde en fronçant les sourcils. « T'inquiète, c'était le défilé. C'est Jack Sparrow qui essaye de communiquer avec nous ! » lui dis-je en souriant. C'est impossible de ne pas penser à ce qu'elle a vécu il y a quelques mois — ce que toute la ville a vécu, de près ou de loin. La fusillade du centre commercial. Keyla y était, s'en est sortie. Mais depuis ce jour, sans qu'elle ne dise quoi que ce soit, j'ai parfois l'impression qu'elles est légèrement plus fébrile parfois. « Ça te met mal à l'aise, ce genre de bruit ? » Je lui demande doucement. Si elle veut parler, elle le fera, elle sait que je suis d'une bonne écoute. Mais elle sait aussi que je ne la forcerai à rien.

Keyla ne sait où poser ses yeux tellement il y a de choses à voir mais aussi de monde. A ce moment précis, face à cette foule, elle bénit le ciel de ne pas être devenue agoraphobe après son traumatisme de septembre dernier. Une pensée qui l'assombrit une très courte seconde, avant qu'elle ne se reprenne tute seule et rapidement, laissant ses yeux vagabonder à nouveau, pour tomber sur un foodtruck dont les délicieuses odeurs réveillaient l'appétit de la brune. Son ventre gargouillait déjà, ce qui la fit grimacer avant qu'elle n'hoche la tête aux propos de Louisa, prête à s'éloigner de ce méli-mélo de senteurs plus qu'agréable. Une chose était déjà certaine pour Keyla: elle viendrait manger ici avec sa meilleure amie. Pas le choix ! C'était décidé.
Bras-dessus, bras dessous, les deux amies se détournent et contemplent les personnes autour d'elle, de plus en plus nombreuses au fil des minutes. Ca sent le bon moment détente, et Keyla a bien besoin de ça. Elle ne rêve que de ça d'ailleurs, ce qui la fait un peu plus sourire, alors que la conversation continue entre les deux amies, le sujet se concentrant sur les relations de la Kirkman avec sa mère. Autant le dire ce n'était pas au beau fixe, mais Key' en était en partie responsable. Mais en même temps, sa mère ne faisait rien pour faciliter les choses. Pas du tout même. Et la jeune étudiante envisageait sérieusement de prendre son envol. Voilà qui lui ferait du bien, elle en était persuadée, bien que ça l'embêtait pour ses deux petites soeurs qu'elle adore plus que tout. Elle allait devoir aborder le sujet avec la psy qu'elle voyait, elle saurait l'aider.

- Si ça me plairait de vivre seule ? Je pense. Enfin, de prendre mon envol, oui. De toute façon, j'arrive à un âge où il va falloir que je prenne mon envol, maintenant à voir si je le prends seule ou si je trouve une coloc ou autre. Je dois encore réfléchir à tout ça !

Elle sourit doucement, un sourire qui s'agrandit quand elle entend les mots suivants de Louisa.

- Oh oui c'est top d'avoir son endroit à soi. J'ai déjà ma chambre bien sur chez mes parents, mais j'ai envie de plus aujourd'hui. Alors pourquoi pas se lancer pour de vrai ? Et pour mes soeurs, elles s'y habitueront, et moi aussi.

Elles n'avaient pas vraiment le choix de toute façon. Vu l'écart d'âge entre Key' et les deux dernières de la famille, ça arriverait de toute façon à un moment donné.

- J'aurai toujours du temps pour elles ! Et mon logement leur sera grand ouvert au besoin, un jour ou l'autre !

Keyla sera toujours là pour elles oui, comme pour chacun de ses frères et soeurs. Elle les aimait tous à l a folie et était proche de chacun d'eux, d'une manière différente il est vrai, mais proche tout de même. Un doux sourire s'étire sur les lèvres de l'étudiante doucement, un sourire qu'elle garde alors que son regard se perd sur la foule et les activités autour d'elle. Et alors qu'elle allait faire un commentaire, un bruit sourd, venant d'un coup de canon. Le bruit la pétrifia, tandis qu'une grimace déformée son visage. Une horrible grimace. Quant à ses mains, elles tremblaient légèrement, et quand elle s'en rendit compte, Keyla les joignit l'une à l'autre pour stopper le tremblement. Elle espérait aussi que Louisa n'avait rien vu, mais rien n'avait échappé à son oeil de lynx.

- Oui bah qu'il essaye de communiquer autrement que par des coups de canons qui surprennent !

Le commentaire est lâché simplement, sur un ton neutre, tandis que Keyla se calme doucement mais sûrement. Elle a déjà réussi à apaiser les tremblements, c'est déjà une bonne chose. Et elle espère que le sujet va pouvoir changer, mais c'était mal connaître Louisa... Qui lui pose la question qu'aurait voulu éviter la jeune femme. Une question elle répondit honnêtement ceci dit.

- Oui, mais ce n'est pas étonnant après tout...

Sa réponse est poussée dans un souffle. La Murphy savait très bien ce qu'avait vécu Key, comme tous ses proches à vrai dire.

- Mais ça va, Louisa, ne t'en fais pas. Ca passe avec le temps.

Le temps et surtout l'aide qu'elle avait accepté de recevoir et qui lui faisait un bien fou. Mais il lui faudrait des années pour vivre plus sereinement, la Kirkman n'était pas idiote sur ce point.

Keyla a réfléchi à la question, ça se voit. Pas vraiment comme moi qui n'ai jamais le temps de peser le pour et le contre — les évènements sont toujours plus forts que moi, plus forts que les Murphy de manière générale. Mais si nos deux situations avec Keyla ne sont pas comparables, et qu'elle suit un schéma plus classique, j'apprécie tout de même sa maturité et sa réflexion sur le sujet. Des gosses de riche qui ne se posent pas la moindre question parce que papa et maman allongent le chèque derrière, ça court les rues, mais ce n'est pas le cas de Keyla, et c'est aussi pour ça qu'elle est mon amie. Elle a la valeur des choses, des études, de la famille. « Si ça me plairait de vivre seule ? Je pense. Enfin, de prendre mon envol, oui. De toute façon, j'arrive à un âge où il va falloir que je prenne mon envol, maintenant à voir si je le prends seule ou si je trouve une coloc ou autre. Je dois encore réfléchir à tout ça ! » D'un hochement de tête, j'approuve ses paroles. Seule ou en coloc, c'est chose courant à nos âges... Pour ma part, je ne me suis jamais vraiment posé la question, pour des questions d'argent. Mais quelque part habiter seule serait effrayant aussi au final, car ça ne m'est jamais arrivé. Bien qu'en ce moment, vu comment Leo est présent à la maison... C'est un peu comme si j'étais seule. Je chasse ces pensées de ma tête, celles qui m'inquiètent ; je n'ai pas envie que ce soit le cas en cet instant. « Oh oui c'est top d'avoir son endroit à soi. J'ai déjà ma chambre bien sur chez mes parents, mais j'ai envie de plus aujourd'hui. Alors pourquoi pas se lancer pour de vrai ? Et pour mes soeurs, elles s'y habitueront, et moi aussi. J'aurai toujours du temps pour elles ! Et mon logement leur sera grand ouvert au besoin, un jour ou l'autre ! » « Oui c'est clair, tu pourras être la grande soeur chez qui on vient se réfugier, et ça c'est trop cool ! » Pour être la petite dernière, je sais de quoi je parle ; et je suis certaine que Keyla est une excellente grande soeur, surtout vu comment elle est gaga de ses petites soeurs.

Mais le bruit du canon coupe court à notre petite discussion sur l'avenir, et si pour ma part il m'a fait un peu sursauter, j'ai l'impression que du côté de Keyla, c'est bien différent. Si j'essaye d'aborder le sujet à demi-mots, je me doute bien que ce n'est pas du tout facile pour elle. Depuis que c'est arrivé dans notre ville, j'ai bien conscience qu'un bon nombre de personnes appréhendent les choses un peu différemment. « Oui bah qu'il essaye de communiquer autrement que par des coups de canons qui surprennent ! » Elle se reprend, Keyla, mais je l'ai regardée et j'ai vu son agitation, et ce n'est pas trop mon genre de faire comme si de rien n'était. Embêtée, je pince les lèvres. J'espère juste qu'elle n'a pas évité de me dire que venir ici était une mauvaise idée, juste pour me faire plaisir. J'aurais compris, et elle le sait. « Oui, mais ce n'est pas étonnant après tout... Mais ça va, Louisa, ne t'en fais pas. Ca passe avec le temps. » Je lui presse doucement le bras. « Bien sûr, tout passe avec le temps » lui dis-je en hochant la tête, pour l'encourager. J'ai confiance en elle de toute façon, et puis je sais aussi que sa famille fera le nécessaire. « Et ce n'est pas étonnant tu as raison. Je suis juste désolée pour toi, que ça soit dur pour toi encore. J'espère que tu sais que tu peux m'en parler si tu veux. T'es forte, ça c'est sûr. Mais si ça va pas... » Je suis là, c'est tout ce qui importe dans mon discours. Quelques secondes, je reste silencieuse. À me demander comment ma mère en est arrivée là, à me dire que le danger de garder les choses pour soi, c'est peut-être celui-là. De nouveau je regarde Key et lui fais un petit sourire. « Ça sert à ça les amies » je rajoute doucement.

Partir de chez elle. Keyla n'y avait jamais songé jusqu'à très récemment, car elle se disait qu'elle avait encore le temps. Mais depuis la fusillade et surtout la dispute avec sa mère, la jeune étudiante y pensait de plus en plus. Elle avait l'impression que cela devenait une nécesité, notamment à cause de ses cauchemars. Chaque nuit, elle avait peur que ses cris ne réveillent les siens et qu'ils découvrent l'ampleur de son traumatisme. Sans oublier le reste de la journée. Elle se disait que vivre seule serait bien mieux, sans oublier qu'elle n'aurait plus à vivre avec les stupides règles de sa mère. Oui, elle était peut-être dure avec sa génétrice, mais la dispute de la dernière fois avait grandement impacté la jeune femme. Alors l'idée faisait de plus en plus son chemin dans l'esprit de la Kirkman. Le temps était peut-être venu pour elle de voler de ses propres ailes. Certainement même.

- La grande soeur toujours là pour elles !

Commenta en souriant la brune à Louisa, heureuse à cette idée, même si cela n'arriverait pas avant quelques années, vu l'âge de ses petites soeurs pour le moment. En tout cas, elle savait que cet appartement, elle l'aurait, sa mère lui ayant dit qu'elle serait heureuse de la voir prendre son envol. Il fallait surtout qu'elle s'y mette vraiment.

La conversation changea de ton quand un coup de canon se fait entendre. Instantanément, Key' est ramenée à ce terrible jour. Elle se pétrifia sur place, ses mains tremblantes qu'elle croisa rapidement, tandis qu'une grimace tordit son visage. Rapidement, la brune se rend compte que sa meilleure amie a tout vu, et elle sait qu'elle doit s'inquiéter. Après tout, à elle aussi elle n'a rien dit. A personne. Durant des mois. Et encore aujourd'hui, il n'y avait que son oncle qui savait vraiment les tourments que connaissait la Kirkman, parce qu'il l'avait vu dans son pire état.
Keyla n'aime pas avoir été démasquée, néanmoins, elle tenta de rassurer son amie: ça allait. Mais son état n'était pas étonnant après ce qu'elle avait vécu. La fusillade hantait encore la Nouvelle-Orléans, tout comme ce tueur en série. Et la remarque de Louisa lui fit malgré tout baisser la tête: la Murphy n'était pas dupe, elle non plus. Oui, avec le temps tout passe, enfin la Kirkman le pensait sincèrement, et l'espérait plus que tout. La suite des paroles de son amie toucha l'étudiante en plein coeur, qui en vint à poser sa main sur le bras de Louisa, tandis qu'une petite larme coulait sur sa joue.

- Je sais...

Réussit-elle néanmoins à murmurer à destination de la brune à ses côtés, sa main toujours poser sur son bras, tandis qu'avec celle de libre, Key' essuya la larme de sa joue.

- A vrai dire, je ne sais pas si je suis forte... Mais je tente de surmonter tout ça comme je peux.

Et autant le dire: elle n'avait pas brillamment commencé... Oh non... Son oncle l'avait remis sur la bonne route, et c'est grâce à lui qu'elle était allée consulter. Bon, elle avait pris son temps pour faire sa démarche, mais elle l'avait fait, et depuis, elle s'y tenait. C'était le principal non ? En tout cas, épuisée nerveusement sur le coup pour ça, la jeune femme finit par se laisser tomber sur le banc libre le plus proche, Louisa à ses côtés, une main réconfortante dans son dos.

- Je n'ai pas toujours des moments faciles pour être honnête, mais je me fais aider depuis quelques temps maintenant: je vois quelqu'un pour cela. Et crois-moi, ma réaction est plutôt calme par rapport à avant...

Encourager, soutenir, c'est tout ce que j'ai en mon pouvoir finalement, concernant toutes les personnes autour de moi. Et pourtant, il y aurait de quoi faire : personne ne va si bien que ça. À commencer par Leo, Ella... Bref. J'ai l'impression que ce rôle que je tiens ne sert pas à grand chose, mais en tout cas, au sujet de Keyla, j'espère pouvoir lui montrer mon soutien du mieux possible. Cette histoire de fusillade semble visiblement bien plus ancrée en elle que ce qu'elle n'a laissé paraître jusque là. Mon regard l'interroge, tandis que je me dis que je n'avais rien vu jusque là, est-ce ma faute aussi pour n'avoir pas fait plus attention ? Ma vie va à cent à l'heure ces derniers temps, et soudain je me dis qu'à cause de tous nos problèmes je passe à côté des choses, peut-être. Je pince mes lèvres, furieuse contre moi-même. Mais la larme qui glisse sur la joue de Keyla me stoppe dans mon introspection. « Je sais... » Je presse ma main sur la sienne. S'il le faut on peut s'en aller d'ici pour éviter d'entendre de tels bruits, elle le sait, n'est-ce pas ? « A vrai dire, je ne sais pas si je suis forte... Mais je tente de surmonter tout ça comme je peux. » Comme elle s'assoit sur un banc, je m'assois à ses côtés. Sourcils fronçés, je la laisse parler pour le moment. Elle n'a pas vidé son sac sur le sujet jusque là, autant la laisser terminer.

« Je n'ai pas toujours des moments faciles pour être honnête, mais je me fais aider depuis quelques temps maintenant: je vois quelqu'un pour cela. Et crois-moi, ma réaction est plutôt calme par rapport à avant... » Voir quelqu'un, voilà qui est encourageant. Je hoche la tête, heureuse de l'entendre. « C'est bien, dis donc, que tu vois quelqu'un ! C'est déjà bon signe et puis, c'est prometteur. Ça se passe bien tes séances ? » Parfois, les psys, c'est à double-tranchant. On en a vu une batterie pour ma mère, et parfois, certains ne me mettaient pas du tout à l'aise. « Je suis désolée que ça ait été encore plus dur avant. Désolée aussi de ne pas avoir remarqué plus tôt... » Elle a fait en sorte de le cacher, certes, mais tout de même. Une fusillade ne laisse personne indemne. D'un air encourageant, je lui souris de nouveau. « Si tu as besoin de quoi que ce soit en tout cas, n'hésite pas, je suis là. » Parler, ou juste se changer les idées, peu importe. Je ne connais que trop bien l'importance d'avoir un bon système de support. Balayant les alentours du regard, peuplés de pirates et compagnie, j'essaye de voir si les canons vont se faire entendre de nouveau. « Tu en as parlé à ta mère, de tout ça ? » Je demande, laissant mes pensées dériver. Peut-être aussi que les tensions avec sa famille viennent aussi de là ?

Parler. Ce n'est pas le chemin le plus évident, Keyla l'a appris à ses dépends, mais pourtant, elle en vient à se confier à Louisa, à lui expliquer sa réaction, son sursaut au boulet de canon, puis le fait qu'elle se soit figée. De toute façon, elle était mise devant le fait accompli. Alors, doucement, laissant une larme couler sur ses joues, la brune se confie, elle qui tente de surmonter ses difficultés aussi bien que possible, avec des moments difficiles pour être honnête. Néanmoins, elle se faisait aider désormais la Kirkman. Notamment parce qu'elle savait son oncle derrière elle à ce sujet, et il n'allait pas la lâcher. Et puis bon, elle avait besoin de se faire aider, elle ne devait pas se mentir plus longtemps. Alors, elle avait franchi le pas en allant consulter la psy du voisinage, qu'elle connaissait légèrement. En tout cas, cela portait doucement ses fruits, car sa réaction était plutôt mesurée aujourd'hui, par rapport à avant.
Après avoir avoué tout cela, Key' releva doucement les yeux pour les poser sur sa meilleure amie, qui a alors la meilleure des réactions. Enfin, aux yeux de l'étudiante, qui sourit doucement en entendant les mots de Louisa, alors qu'assise sur ce banc, la brune joint ses mains pour éviter de les triturer dans tous les sens, comme à chaque fois qu'elle était un peu mal à l'aise, comme là. Mais elle répondit néanmoins à la question de la Murphy.

- Oui, ça se passe bien... C'est par contre très dur et épuisant le jour des séances, mais sinon ça va.  

Dur et épuisant, au point qu'elle rentrait et dormait presque directement. Parler, se confier, revivre les événements étaient durs, mais nécessaires. Elle le savait, elle espérait juste avoir la force de tenir jusqu'à la fin de sa thérapie.

- Oh non ! Ne sois pas désolée !

S'exclama un peu vivement Key en entendant les excuses de son amie, posant une main sur sa cuisse. Oh non, elle n'avait pas à être désolée de ne pas avoir remarqué quoi que ce soit... Car elle a bien cacher son jeu durant tout ce temps.

- J'ai très bien caché tout cela, personne n'a rien vu... Alors ne sois pas désolée...

Keyla sourit doucement à Louisa en disant cela, répondant ainsi au sourire de sa meilleure amie, avant de prendre sa main la plus proche pour la serrer avec douceur dans la sienne. Elle se retient même de serrer un instant la Murphy dans ses bras pour la remercier de sa bonne intention qui la touche.

- Je n'hésiterai pas, promis.

Un nouveau sourire se dessina sur les lèvres de la brune avant qu'elle ne passe une longue main dans ses cheveux, toujours assise sur ce banc. La question sur sa mère fait soupirer un instant la Kirkman. Non, elle ne lui a rien dit. Et tant mieux. Car sa mère et ses propres problèmes, elle ne voulait pas en aajouter plus.

- Non, et c'est très bien ainsi. Déjà car elle sera trop sur mon dos, et je n'ai pas besoin de ça honnêtement, et en plus, elle a déjà ses propres soucis à gérer en plus des autres.

Et par autres, Key sous-entendait ses frères et notamment petite soeur. Sans compter qu'elle était secrète au passage, et habituée à vivre les choses seules.

- Mais ça va all...

Aller. Mais el dernier mot fut manger par un cri. « Il a une arme ! » Immédiatement, sans attendre une seconde, l'esprit de l'étudiante se mit à chercher la personne armée, prête à se terrer derrière le buisson ou à fuir au besoin. Mais sur le coup, elle reste figée, tandis que ses yeux se rendent compte que ce n'est qu'une blague de jeunes. Une putin de blague, qui la met dans un état d'angoisse, car son esprit s'est imaginé pendant un instant revivre le même enfer. Et sans qu'elle ne s'en rende compte, elle tremble légèrement, alors qu'autour d'elle, les gens ont repris leur vie. Le chemin allait encore être long pour Keyla, mais au moins elle n'avait pas hurlé, elle n'avait pas fui en courant.

- Je hais les blagues de merde comme celle-ci...

Murmura-t-elle doucement, à l'intention de Louisa qui la regarde. Elle le sait, même si elle ne la regarde pas. Elle sent le regard posé sur elle.

« Oui, ça se passe bien... C'est par contre très dur et épuisant le jour des séances, mais sinon ça va. » Je hoche la tête, heureuse de savoir que son psy la met en confiance, fronçant les sourcils quand elle précise que ça l'épuise... Mesurant le traumatisme en même temps. Vraiment, une part de moi s'en veut terriblement. Parce que je sais que Keyla n'a pas cherché à le dire nécessairement mais si je n'avais pas tant de problèmes familiaux qui me bouffaient la vie, est-ce que je n'aurais pas prêté plus d'attention à mon amie ? Je déteste être cette personne là, celle qui ne voit plus rien, noyée dans ses propres problèmes. « Oh non ! Ne sois pas désolée ! » Mes doigts serrent la sien, je me force à sourire, avec un petit pincement au coeur tout de même. « J'ai très bien caché tout cela, personne n'a rien vu... Alors ne sois pas désolée... » Un sourire étire mes lèvres et je pose une seconde ma tête sur son épaule, tandis que Key insiste pour que je ne me sente pas coupable. De toute façon, ça ne sert à rien de se faire des noeuds au cerveau : c'est passé, maintenant. Le plus important, c'est d'être là pour elle à présent. « Je n'hésiterai pas, promis. »

Voilà. Pacte scellé, tandis que j'essaye d'appréhender au mieux la situation. « Non, et c'est très bien ainsi. Déjà car elle sera trop sur mon dos, et je n'ai pas besoin de ça honnêtement, et en plus, elle a déjà ses propres soucis à gérer en plus des autres. » Je comprends, sa mère peut être envahissante. Je comprends aussi que Keyla a besoin de faire les choses à sa manière, et que dans ces cas-là, il vaut mieux la laisser. Et puis elle est secrète, ce que je ne peux que comprendre aussi. « Mais ça va all... »

Pas le temps de finir, ni elle, ni moi. Quelqu'un a crié il a une arme et un vend de panique s'empare de tout le monde quelques secondes, le temps que les gens captent ce qui se passe. Je repère alors le groupe de jeunes en question et comprends que tout va bien, même si à les voir rire comme ça, j'ai vraiment envie de leur foutre des baffes. Contre ma main, celle de Key s'est glacée et quand je tourne le regard vers elle elle est figée, et je sens son bras qui tremble contre le mien. Évidemment. Un déclencheur de plus, et je maudis une nouvelle fois la personne qui a crié cette bêtise. Sans attendre, je la serre dans mes bras. « Tout va bien » dis-je avec légèreté. « Je hais les blagues de merde comme celle-ci... » « Pareil » Je râle à mon tour et finis par me lever en reprenant sa main dans la mienne. « Allons ailleurs, j'ai une idée ! »

Ce qu'il lui faut c'est se changer les idées, et vu tout ce que propose la fête foraine, il y a de quoi faire. J'emmène Key plus loin, vers les stands, là où essentiellement des familles se promènent et participent à tout un tas de jeux. Ici, pas de blagues débiles, et je m'arrête là où des gens s'amusent à une course d'écrevisses qui sont en train de se carapater vers la ligne d'arrivée. Je file un coup de coude à Key : « Viens, on en choisit une nous aussi ? » Rien de mieux que s'amuser pour se détendre un peu. « Tu sais Key tu te débrouilles comme une cheffe. C'est pas du tout évident ce que tu traverses, mais j'admire comment tu prends les choses en main. Ça va aller, j'en suis sûre. » Un sourire accompagne mes paroles, que j'espère encourageantes ; elles sont sincères en tout cas.

Parler, raconter ce qu'elle avait vécu et ce qu'elle vivait. Ce n'était pas la grande passion de Keyla, mais elle jouait le jeu avec sa psy, et faisait tout pour aller mieux, même si elle en ressortait complètement épuisée à chaque fois. A croire que se vider la tête et l'esprit pour guérir était une épreuve. Une pensée que Key balaya bien vite tandis qu'elle racontait tout ça à Louisa. Une des rares personnes à qui elle arrivait à se confier, enfin si on pouvait appeler ça ainsi. Car ce n'est pas à sa mère ou son beau-père qu'elle racontait tout ça, bien au contraire. Avec eux, c'était surtout silence radio. Pour le moment. A voir combien de temps est-ce que cela durerait et quand elle réussirait à se confier à sa mère.
Laissant l'instant avec la Murphy se faire magiquement, Keyla serra doucement un peu plus la main de sa meilleure amie, avant de déposer à la volée un baiser sur le sommet du crâne de celle-ci quand sa tête vint se poser sur son épaule. Qu'elle ne se fasse pas de soucis, ni qu'elle se culpabilise: Key' avait tout caché pendant des mois, jusqu'au jour où elle n'avait plus réussi. C'était ainsi, personne n'avait à s'en vouloir de ne rien avoir vu alors que la Kirkman avait tout dissimulé avec brio pendant des mois, pour n'inquiéter personne. Plus têtue, ça devait être difficile à trouver, non ?

La conversation entre les deux amies continuaient de bon train, Keyla continuant de se confier, répondant aux questions de Louisa, quand un groupe de gamin trouva intelligent de gueuler à haute voix que quelqu'un avait une arme. Autant le dire: le sang de Key' se glaça instantanément tandis qu'elle se figeait et se taisait, incapable de parler. Mais en réalité, il n'y avait rien. Ce n'était qu'une foutue blague qui l'avait ramené à de mauvais souvenirs le temps d'un instant. Et cela la fit soupirer, alors que Louisa vint la prendre dans ses bras. Un acte qui réconforta la jeune femme. Dire qu'il y a quelques semaines encore, elle aurait fondu en larmes de peur, tremblant de tout son être comme une feuille secouée par un vent violent. Oui, vraiment, les blagues de merde comme ça, elle ne pouvait que les détester.
Secouant la tête aux paroles réconfortantes de son amie, la Kirkman se recula un peu de la Murphy, lui confiant doucement, que les blagues comme ça, elle les détestait. Ce qui n'était guère étonnant. Mais déjà Louisa lui prit la main pour la tirer et l'emmener plus loin, car elle avait une idée.

- Une idée ?

Demanda d'un air interrogateur l'étudiante, tout en se laissant mener comme une enfant à travers les allées, jusqu'à des stands fréquentés et animés. Des activités pour petits et grands. Ici un stand de maquillage, ici un stand de chamboultout, là un de bières. Bref, les activités ne manquent pas le moins du monde et c'est devant un stand de courses d'écrevisses que Louisa s'arrête. Et un sourire amusé prend naissance sur les lèvres de Key'.

- Allez ! Celle avec le drapeau couleur orangée-jaune, ou coucher de soleil comme tu préfères, me plaît bien !

L'écrevisse lui avait tapé de suite dans l'oeil, en raison de la couleur du drapeau, qui est certainement sa couleur favorite, ou l'une d'entre elles en tout cas. Et comme Louisa proposait d'en choisir une, pourquoi pas celle-ci ? En tout cas la Kirkman se prêtait au jeu, prête à voir sa championne gagner ! En tout cas il y avait intérêt et déjà elle la suivait des yeux, toujours souriante. Mais sa contemplation fut interrompue par les nouvelles paroles de la Murphy, qui firent tourner la tête à Keyla. Les mots de la brune, touche Key', qui finit par laisser sa main aller se poser sur le bras de son amie, dans un geste tendre et amical.

- Merci... ça me touche...

Finit-elle par murmurer au bout de quelques secondes. Oui, elle est vraiment touchée par ces mots, et son regard en disait long sur combien elle était touchée par ces paroles qu'elle n'attendait pas.

- Je ne sais pas si je me débrouille comme une cheffe mais je fais vraiment tout pour m'en sortir, car ce n'était plus possible de tout taire.

Un triste constat qu'elle avait mis du temps à accepter... mais maintenant que c'était fait... elle n'avait plus qu'à tout faire pour guérir, et ça, elle le voulait vraiment. Sa main qui était restée sur le bras de Louisa le serra une dernière fois, avant d'aller retrouver l'autre main de Key pour que ses doigts se joignent les uns aux autres. Et son regard se reporta sur leur écrevisse, qui venait de gagner.

- Oh ! Regarde ! Notre écrevisse à gagner !

S'exclama-t-elle avec joie, souriant de toutes ses dents blanches.

L'instant légèrement hors du temps disparait vite, après que le semblant de coup de feu nous fasse sursauter toutes les deux. Si mon coeur s'emballe, je vois bien que chez Keyla, c'est on ne peut plus difficile à vivre, ce genre de situation. Evidemment : trop semblable, trop chargé de souvenirs. L'envie d'aller foutre des baffes aux petits malins qui ont fait ça est présente, mais je ne bouge pas, trop occupée à réconforter mon amie. Et la voir ainsi me fait trop de peine pour que je reste sans rien faire. On est venues ici pour s'amuser, se changer les idées. Quoi de mieux que d'en profiter ? Et comme une idée a germé dans ma tête, j'entraîne la brunette un peu plus loin, vers l'une de ces traditions bien de chez nous qui m'amuse toujours : la course d'écrevisse. Key a vite compris où je voulais en venir, et je lui laisse le choix pour commencer. « Allez ! Celle avec le drapeau couleur orangée-jaune, ou coucher de soleil comme tu préfères, me plaît bien ! » Je hoche la tête, cette couleur flamboyante me plait aussi et voilà qu'on désigne notre championne, alors que la course va commencer. J'ai le coeur battant d'excitation comme une enfant, heureuse de me dire qu'il est toujours possible de profiter un peu en oubliant le reste, heureusement. Je ne manque pas de dire à Keyla ce que je pense ; car oui, effectivement, ce qu'elle a traversé et traverse encore n'a rien de facile mais combien de personnes se seraient laissées abattre, ou plonger ? Elle, ce n'est pas ça. Ella des forces en elle qu'elle ne néglige pas, et je sais aussi que ce n'est pas pour rien que nous sommes amies.

« Merci... ça me touche... Je ne sais pas si je me débrouille comme une cheffe mais je fais vraiment tout pour m'en sortir, car ce n'était plus possible de tout taire. » Mon regard confirme ses paroles, et je lui lance un sourire encourageant. « Moi, j'ai confiance en toi ! » Et parfois, ça ne tient qu'à ça, finalement.

La folie de la course captive ensuite toute notre attention. Certains participants encouragent haut et fort leur écrevisse, ce qui nous donne un début de fou rire, mais en même temps je suis occupée à battre des mains et à encourager la nôtre - bref, le tout forme une cacophonie joyeuse qui me laisse le souffle un peu court et les yeux brillants d'excitation. « Oh ! Regarde ! Notre écrevisse à gagner ! » « Yeeeess ! » Je hurle encore plus fort, maintenant que la victoire est à nous. Et, bonne surprise à la clef, la victoire de notre écrevisse nous donne le droit à deux bons une boisson ou un en-cas dans des stands, ce qui nous fait sourire encore plus.

Nous éloignant un peu, je laisse mes pensées dériver tranquillement. « Est-ce qu'on irait pas grignoter quelque chose ? » je demande, en agitant avec un sourire satisfait nos bons en question. Tout cela m'a un peu creusé l'appétit, et maintenant que tout redevient calme, je repense à ce qui me trotte dans la tête depuis quelques temps et dont je n'ai parlé à personne. Si Keyla est mon amie, la meilleure sans doute, ce n'est pas pour autant que c'est facile de lui dire. D'abord parce que ce n'est pas un sujet forcément évident, ensuite parce que je ne suis sûre de rien, et aussi parce que je ne parle habituellement jamais de ce genre de choses. « Tu sais, je pense pas mal à quelque chose dernièrement » Sans trop savoir par où commencer, j'y vais comme je le sens. « J'aimerais bien t'en parler mais euh, hmm, je ne sais pas trop par où commencer » J'hésite, ce qui ne me ressemble pas des masses.

Laissant ses terreurs de côté quelques instants, Keyla se concentra sur la course d'écrevisse vers laquelle Louisa l'avait entraîné pour lui changer les idées. Une excellente idée, car pendant plusieurs minutes, son esprit se concentra sur la course, sur l'écrevisse qu'elle avait choisi et sur laquelle les deux meilleures amies avaient misé. Et pendant que celle-ci progressait lentement mais sûrement vers la ligne d'arrivée, les yeux de Key la contemplant, la Murphy reprit la parole, touchant la Kirkman qui alla poser sa main sur le bras de son amie, pour la remercier. Elle était réellement touchée par ce qu'elle venait d'entendre. Touchée et émue. Surtout qu'elle n'avait pas aussi confiance en elle que Louisa. Key' n'avait pas l'impression de se débrouiller comme une cheffe, mais plutôt de tâtonner au jour le jour, et d'avancer à petit pas pour s'en sortir, tout en évitant sa mère et toute sa famille, un peu trop inquiète. Ca la gonflait d'ailleurs. En tout cas, elle faisait tout pour s'en sortir.

- Ca me touche Louisa, vraiment.

Murmura-t-elle à l'attention de son amie, avant de poser sa tête sur l'épaule de celle-ci quelques instants, reprenant sa contemplation de la course et notamment de leur écrevisse qui arrivait vers la ligne d'arrivée, avant de la franchir en première, gagnant ainsi la course. Ce qui ramena la joie et la cacophonie, faisant faire un petit bond de joie à la Kirkman. Ainsi, les meilleures amies gagnèrent des bons pour une boisson ou un en-cas. Elles allaient pouvoir se régaler.

- On va pouvoir se faire plaisir !

S'exclama Keyla en saississant les bons, un grand sourire aux lèvres, avant de les donner à Louisa. La victoire lui avait rendu sa bonne humeur. Après un dernier regard sur l'écrevisse gagnante, les deux amies quittèrent le stand pour retourner déambuler parmi la fête, les yeux de la jeune femme naviguant de stand en stand. Perdue dans ses pensées, elle est ramenée à la réalité par la question de Louisa, sentant au même moment son estomac gargouiller.

- Je suis on ne peut plus pour ! Je crois que je commence à avoir faim. Et j'ai soif aussi.

Elle sourit avant de se mettre à chercher du regard un stand de nourriture qui pourrait les attirer.

- On tente quelque chose de typique ?

Du style gumbo ou autre, pour changer des traditionnels burgers, pizzas et hots dog. En tout cas, les yeux de la jeune femme s'affairait à chercher un stand, en silence. Silence rompu par Louisa qui reprit la parole, qui intrigua aussi Key', qui lui posa un regard interrogateur. Elle voulait lui parler d'un truc ? Et vu la tête qu'elle faisait c'était on ne peut plus sérieux.

- Vas-y, dis moi. Si je peux t'aider comme tu le fais, ça sera avec plaisir Louisa.

Elle sourit et serre au passage le bras de la jeune femme pour l'encourager.

Keyla pose sa tête sur mon épaule une seconde et ma tête vient contre la sienne, pour sceller ce pacte d'amitié qui nous unit. Je suis contente de voir qu'elle a retrouvé le sourire, ce qui était le but de notre petite escapade, de notre échange aussi. Et puis c'est mon rôle d'amie de lui montrer toute ma confiance et mon soutien, même quand elle doute d'elle-même. La course d'écrevisse accapare ensuite toute notre attention, d'autant plus que l'excitation est à son comble puisqu'au fur et à mesure celle sur laquelle on avait misé prend la tête de la course, et termine première, ce qui nous fait crier de joie et sourire encore plus. À la clef : des bons pour se restaurer, pile ce qu'il nous fallait !

« On va pouvoir se faire plaisir ! » Mon sourire répond au sien tandis que je contemple les morceaux de papier colorés qu'on vient de remporter. Et nous voilà parties en direction des stands en question, histoire de choisir quoi se mettre sous la dent. Les odeurs voltigent dans tous les sens, salées ou sucrées, elles mettent l'eau à la bouche et je ne tarde pas à envisager absolument tout, tellement tout à l'air appétissant. « Je suis on ne peut plus pour ! Je crois que je commence à avoir faim. Et j'ai soif aussi. » « Tout ça me donne envie de manger un stand entier » lui dis-je en riant. « On tente quelque chose de typique ? » Je la suis dans son idée : il y a de grandes chances pour que les plats typiques soient mis à l'honneur et surtout réussis, alors on se faufile vers un des stands qui nous attire. « Le gumbo a l'air incroyable, là » lui dis-je en montrant un plat, avec l'eau à la bouche.

Notre choix fait, il ne nous reste plus qu'à attendre qu'on nous donne nos commandes. « Vas-y, dis moi. Si je peux t'aider comme tu le fais, ça sera avec plaisir Louisa. » Une seconde le stress me traverse : non pas que je doute de la réaction de Keyla, je sais qu'elle sera pleine de soutien, mais ce sujet en ce moment me perturbe trop pour qu'une légère agitation prenne possession de moi. Entre temps nous voilà servies, et on s'installe sur une table à l'écart.

« Hmm, ça sent bon » dis-je parce que c'est vrai, mais aussi pour gagner un peu de temps. D'abord je bois un peu, ma bouche est toute sèche, ensuite je jette un regard autour de nous, comme si quelqu'un était en train de nous épier. « Bon. » Pas la peine de tourner cent ans autour du pont, Louisa : vas-y. « Tu sais que je suis jamais sortie avec personne parce que ça m'a jamais trop intéressée et que de toute façon, j'ai jamais eu trop le temps... » Pas sûre que ce soit la meilleure ouverture du sujet. Je me reprends, et inspire un bon coup. « Enfin, je n'ai jamais été trop intéressée par les garçons, c'est ça que je veux dire. Et, hmm, aujourd'hui, je suis en train de me demander... Non, j'en suis sûre je crois... Je crois que si ça ne m'a jamais intéressée c'est parce que, eh bien, je préfère les filles. » Quatre petits mots qui me donnent l'impression d'avoir déclenché une bombe — mais rien de terrible ne se passa. Au contraire, un poids s'envola de mes épaules, alors que je regardai Keyla. « Je croyais que j'étais différente à ne pas m'intéresser aux relations depuis toutes ces années mais c'est sans doute parce que je ne m'étais pas posé les bonnes questions ? » Impossible de savoir, après tout, mais le simple fait d'en parler enfin avec quelqu'un d'autre que moi et moi-même me fait un bien fou.