Tout semblait tellement aller au plus mal et s'enfoncer un peu plus vers les abysses que depuis quelques jours, Soledad a du mal à se dire que ça va mieux, qu'elle peut souffler, que ce n'est pas un rêve qui va se briser — enfin, pas pour le moment. Rory a survécu à son overdose et est en cure ; il y a donc un espoir ; en parallèle, le fait de passer beaucoup de temps chez Skye plutôt qu'à la maison parentale lui permet de prendre l'air, de se reposer, de prendre aussi du temps pour elle, de voir Skye aussi souvent qu'elle le veut et de calmer un peu ses inquiétudes. Si sa soeur n'est pas sortie d'affaire, elle veut garder espoir. Parce qu'elle a confiance en la médecine et qu'elle fait tout pour faciliter la vie quotidienne de Skye, en l'aidant à la maison, en lui cuisinant de bons petits plats quand elle a le temps ou juste en lui changeant les idées. En ce moment, même son travail à l'hôpital lui donne un peu de répit. En dehors de la soirée et du week-end d'Halloween toujours haut en couleurs aux urgences, elle trouve que ces derniers shifts sont plutôt calmes et qu'elle peut vraiment prendre le temps de s'occuper des patients sans courir après la montre et s'arracher les cheveux pour être certaine de bien s'occuper de tout le monde.

Tout va presque bien et c'est si rare ces derniers temps que Soledad a peur d'y croire.

Ce soir, Skye et elle ont prévu une petite soirée films d'Halloween, alors elle passe acheter une tonne de bonbons en tout genre avant de rentrer à l'appartement. Elle ne boit ni ne fume et mange un peu ce qui lui tombe sous la main parce que ce n'est pas sa priorité, mais elle a un petit faible pour le sucre, ça c'est certain. Et en allant acheter les bonbons dans une boutique du centre ville elle prend même le temps de se balader un peu pour voir les décorations un peu partout, et profiter des derniers rayons du soleil.

Le seul truc qui lui trotte en tête c'est qu'elle sait parfaitement que Skye avait un rendez-vous important aujourd'hui, puisqu'on devait lui donner les résultats de ses dernières analyses, et que depuis l'heure du rendez-vous, elle ne répond plus. Pourtant Sole lui a envoyé déjà 4 messages, dont les derniers sont juste des petits émojis. Évidemment que ça l'inquiète — mais elle apprend à lâcher un peu de lest. Elle apprend à faire confiance à sa soeur, qui s'en sort plutôt pas mal. Elle se dit que Skye a peut-être eu du retard à l'hôpital ou bien qu'elle est rentrée et qu'elle fait une sieste ; de toute façon l'infirmière va arriver à l'appart d'une minute à l'autre.

C'est les bras chargés qu'elle pousse la porte avec un grand « C'est moiiiiiiii ! » enthousiaste ; elle pose ensuite les clefs et son sac comme elle peut avant de tout déposer dans la cuisine et de partir à la recherche de saladiers, pour ouvrir les paquets, elle a envie de tout goûter. « Skye ? » La lumière est allumée, sa soeur est là. Prudemment, elle va dans le salon. « T'es où ? » Elle finit par apercevoir sa soeur : « Ah mais t'es là ! Tu voulais me faire peur ou quoi ? » demande-t-elle avec malice, après tout c'est le thème de la soirée : les frissons sont au programme ! « J'ai acheté des tonnes de bonbons, tu vas ado... Mais... Ça va ?! » Elle se fige et perd instantanément son joli sourire. Les yeux de sa soeur sont rouges : elle a pleuré. Et tout d'un coup les doutes de Soledad se concrétisent : c'était trop beau pour durer.

Ce bureau, Skye commence à le connaître par coeur. Peu de choses ont changé depuis la première fois où elle s'est retrouvée à cette même place, pour apprendre ce qui l'attendait avec son traitement. Il y a si longtemps déjà. Bien trop à ses yeux d'ailleurs. Et le rendez-vous de ce jour, elle ne sait pourquoi, mais elle ne sent pas qu'il a été posé pour lui annoncer de bonnes nouvelles suite à ses analyses de la veille. Ce que lui confirme la tête que fait son oncologue en lisant son dossier.

- Mademoiselle Peterson, je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle que j'ai à vous annoncer.

Pause dramatique, auquel répond la jeune femme par un regard exaspéré. Il va accoucher de sa nouvelle à la fin ?

- Votre tumeur n'a pas évolué, ce qui est une bonne chose, mais elle n'a diminué comme attendu non plus. On est plus dans une forme de statu quo actuellement, si je puis dire.

Statu quo ? La nouvelle lui tord le ventre, mais elle garde un sourire sur les lèvres et hoche la tête, écoutant la suite avec attention. De nouvelles sessions de chimio sont à prévoir, mais son meilleur espoir est désormais est la greffe. Ce qui ne va pas être simple non plus. Mais ça, elle l'entend à peine Skye, perdue dans ses pensées et à garder un visage en mode poker face tandis que le médecin continue de parler. Elle retient juste qu'il la met sur la liste d'attente dès aujourd'hui, et que ça peut arriver vite comme non. Il parle ensuite de famille, qui peut-être pourrait l'aider ? Mais là aussi, la réponse n'est pas bonne, car Skye a été adoptée. Elle n'a plus de famille biologique. Autant dire qu'à la fin de son rendez-vous, elle n'a qu'une envie: pleurer. Ce qu'elle va faire en allant s'enfermer de longues minutes dans les toilettes de l'hôpital, pour en ressortir qu'une fois la crise calmée.
Un taxi appelé, elle se fait déposer chez elle, adressant à peine un au revoir au pauvre chauffeur à qui elle n'a pas répondu quand il a voulu faire la conversation. Son visage a dû expliquer le pourquoi du comment de son silence. Elle lui adresse néanmoins un signe de la main avant de s'engouffrer dans son immeuble pour rejoindre son appartement, dans lequel elle rentre presque en courant. Et la porte à peine fermée, elle fond en larmes à nouveau. Des larmes bruyantes cette fois, et un cri lui échappe même, alors qu'elle se recroqueville sur le sol, sur lequel elle reste un long moment. Elle ne saurait dire combien de temps.

C'est la soif qui la fait se relever. Un verre d'eau qu'elle avale à peine et abandonne sur le plan de travail pour aller retrouver cette fois-ci son canapé. Elle s'allonge dessus, se recroquevillant en position foetale, un plaid passé au dessus d'elle. Et de là, elle laisse le désarroi l'envahir, alors qu'elle entend son téléphone sonner. Encore et encore. SMS et appel, certainement des siens, qui savaient pour son rendez-vous. Mais elle n'a pas l'envie ni même la force de leur dire ce qu'elle a appris. Elle doit d'abord accepter et digérer la nouvelle. Alors, pour la paix de son esprit, elle finit par éteindre son téléphone, et retourner à ses pensées.
Elle reste des heures ainsi, s'endormant par moment, épuisée par ses émotions. Elle est d'ailleurs endormie quand Soledad fait son entrée chez elle. Elle avait oublié qu'elle devait venir... Un soupir silencieux franchit les lèvres de Skye, qui abaisse doucement le plaid qu'elle avait remonté jusqu'à son menton, alors qu'elle entend sa cadette qui la cherche. Et la trouve avant même qu'elle ait à répondre.

Des tonnes de bonbons hein ? La Peterson n'est pas sûre que ça réussira à lui remonter le moral. Elle n'est même pas sûre de réussir à les manger de toute façon... Il faudrait déjà qu'elle réponde à la question qui lui a été posée, se doutant que sa tête a suffit à alerter Sol. Mais que dire ? Lui faire part de tout ce qu'elle éprouve ? De toutes les pensées qui la traversent ? Peut-être pas la meilleure des idées, non... Mais elle ne peut pas mentir non plus.

- Non.

Le mot sort du fond de sa gorge, irritée par les crises de larmes et les cris qu'elle a poussé dans son désespoir, ce qui s'entend. Et à voir le regard de sa soeur, celle-ci est inquiète. En quelques secondes, elle vient prendre place à côté d'elle, amenant Skye à se redresser pour lui faire une place. Elle pose alors un regard à nouveau sur sa soeur, qui la regarde avec cette crainte dans le regard, qu'elle n'aime pas. Elle attend la suite. Mais comment lui dire ?

- Rien n'a changé. Ca n'a servi à rien ce que j'ai fait...

Elle ne sait comment, mais elle réussit à prononcer ces quelques mots de désespoir sans craquer. Non, elle attend d'avoir fini pour craquer et aller se réfugier en larmes dans les bras de Sol. Une nouvelle crise de larmes. Il serait temps qu'elles s'arrêtent... Elle a déjà beaucoup trop pleuré.

Non. La réponse de Skye est sans appel et pourtant on dirait qu'elle est à peine là, enfoncée dans le canapé et recroquevillée sous son plaid. Soledad se fige un instant, incapable de se dire qu'elle avait eu raison. Ça ne pouvait pas durer. Les mains vides à présent, elle laisse de côté bonbons et saladiers dans son esprit et se précipite au chevet de sa soeur. Non. Ça ne va pas, donc, et le pire est évidemment à venir. Vite, Soledad s'installe elle aussi sur le canapé, à côté de sa soeur qui s'est relevée, sans la quitter des yeux. Elle a les yeux gonflés, rouges, elle a le visage fatigué, et dans ses yeux une lueur toute éteinte.

« Rien n'a changé. Ca n'a servi à rien ce que j'ai fait... » L'instant d'après, Skye est dans ses bras et se met à pleurer. Le coeur serré, Soledad ferme simplement les yeux au début, et serre sa soeur contre elle. Après quoi elle s'installe un peu mieux en bougeant doucement, afin que Skye ne soit pas pliée en quatre et qu'elle puisse la tenir dans ses bras pendant tout le temps qu'elle voudra. Ça n'arrive pas souvent, mais Sole sent quelques larmes glisser sur ses joues, qu'elle essuie discrètement. Elle ne veut pas du tout montrer qu'elle baisse les bras ni quoi que ce soit, c'est juste qu'elle n'en peut plus. Pourquoi n'ont-elles pas le droit d'un peu de répit ? D'être heureuses ? Pourquoi est-ce que tout s'enchaîne sans jamais s'arrêter ? C'est injuste, terriblement injuste. « La tumeur n'a pas bougé, c'est ça ? » dit-elle après un silence, ponctué des sanglots de Skye.

Comme d'habitude, ce que Soledad sait faire de mieux est de rester professionnelle, de prendre du recul pour les informations. Alors elle se raccroche comme elle peut aux informations. Une tumeur qui ne grossit pas, c'est bien. Mais qui ne diminue pas avec le traitement ? C'est moins bien. Parce que ça veut dire qu'il faut trouver autre chose pour en venir à bout. La perspective d'une opération a toujours été dans un coin de sa tête, depuis qu'elle est au courant, mais elle espère de toutes ses forces que Skye pourra y échapper. « C'est déjà bon signe qu'elle ne grossisse pas... » Se raccrocher au positif est sûrement un peu mince. « Je suis désolée, Skye. Ça doit être tellement décourageant... J'aurais aimé apprendre de meilleures nouvelles moi aussi » ajoute-t-elle plus bas, la gorge nouée. « Tu souffres assez avec ce traitement pour qu'en plus il ne soit pas assez efficace... » Elle serre un peu plus sa soeur contre elle. Toute idée de soirée joyeuse, de film d'horreur et de bonbons à gogo lui parait bien loin maintenant. « Est-ce qu'il t'a déjà parlé de la suite ? De quelles options tu avais ? En attendant, tu continues les traitement en l'état ou il est changé ? » 

Une forme de statu quo. Rien qui n'a évolué... Ce n'est pas vraiment ce que Skye voulait entendre lors de son rendez-vous. Pas du tout même. Son ventre se tord à cette annonce, et les larmes se font sentir chez la Peterson, alors qu'elle se perd dans ses pensées. Pourtant, ses traits ne laissent rien transparaître, alors qu'elle hoche la tête face aux paroles du médecin. Mode robot activé pendant tout le reste du rendez-vous, et même encore après, alors qu'elle rejoint les toilettes de l'hôpital pour enfin se laisser aller à sa crise de larmes. Heureusement que son médecin ne travaille pas au même endroit que Soledad... Sinon celle-ci serait venue la retrouver, et actuellement, c'est bien la dernière chose que souhaite Skye. Elle pleure longtemps, puis les larmes finissent pas se tarir. Les yeux rouges, le visage bouffi d'avoir pleuré, la jeune femme prend un taxi pour rentrer chez elle, où à nouveau, elle se laisse de nouveau aller aux larmes. Bruyantes ce coup-ci, tandis qu'elle tombe sur le sol, avant de rejoindre le canapé qu'elle n'a toujours pas quitté quand elle entend Soledad rentrer.
Sa cadette semble d'une humeur plutôt joyeuse, ce qui ne dure pas malheureusement, car rapidement la malade fini par prendre la parole, avouant que non ça ne va pas. Mais elle attend que sa soeur soit avec elle sur le canapé pour lui annoncer que rien n'a évolué. Sa voix vrille sur la fin, et une nouvelle crise de larmes fait son apparition. Réfugiée dans les bras de Sol', Skye se laisse aller de tout son saoul, profitant de ses bras si réconfortant qui la serrent et veulent la rassurer. Elle se sent si mal de pleurer ainsi, mais c'est plus fort qu'elle. Parce qu'elle en a besoin.

- Non.

Réussit-elle à souffler à la question de sa soeur qui se fait entendre. Non, sa tumeur n'a pas bougé. Et elle sent les larmes revenir à la charge. Des perles salées que la jeune femme refoule, prenant le temps de s'apaiser, de laisser passer la crise de larmes. Tout en restant dans les bras de sa soeur, qui lui sont un véritable réconfort. Posant sa tête sur l'épaule de Sol', elle écoute cette dernière qui reprend la parole. Si elle n'était pas si abattue, Skye aurait certainement esquissé un petit sourire en entendant les mêmes paroles, ou presque, que celles prononcées par son médecin un peu plus tôt dans la journée. Mais elle a une boule au fond de l'estomac qui l'empêche de sourire. Boule qui se fait plus lourde quand elle entend la suite des paroles de celle-ci.

- Je ne voulais que ça...

Souffle-t-elle, la gorge nouée. Oui, elle aussi aurait aimé apprendre de meilleures nouvelles. Elle y croyait en plus tellement fort. La désillusion a donc été totale. Tant de souffrances et de restrictions, pour rien. Voilà qui est déprimant. Et maintenant, elle doit envisager la suite, et ça, c'est une autre paire de manche. Un avenir sur lequel sa soeur en vient à l'interroger. Une chose à laquelle la jeune femme s'attendait. Alors, elle se redresse sur le canapé, afin de faire plus ou moins face à Sol. Elle essuie d'un geste de la main son visage, histoire de sécher un maximum de larmes. Puis, après avoir pris une longue inspiration, elle prend la parole pour répondre.

- Oui, il m'a parlé de tout ça, même si je dois avouer ne pas avoir été totalement là à ce moment-là. Mais ce qui est certain, c'est que selon lui, c'est la greffe ma meilleure chance de m'en sortir. Il m'a fait entrer sur la liste d'attente aujourd'hui.

Elle ne mentionne pas le donneur biologique évoqué par le médecin, auquel elle n'a pas répondu que c'était impossible. Elle n'a pas envie de rentrer dans ces histoires.

- Sinon, je continue mon traitement, pour éviter que cela s'aggrave.

Donc, médicaments et chimio, c'est reparti pour un tour... Et cela ne la réjouit pas vraiment, car c'est bien trop dur.

- Pas vraiment ce que j'espérais pour être honnête... J'ai envie que ça s'arrête Sol... j'en ai marre d'être malade, d'être diminuée...

L'aveu lui échappe, mais montre à quel point elle est exténuée de tout ça, touchée aussi par les résultats du jour.

Elle ne comprend pas pourquoi cette situation existe, parce qu'elle est si injuste qu'elle donne envie de hurler contre le monde entier. Mais Soledad sait aussi, parce qu'elle le voit tous les jours à son travail, qu'il y a tellement de choses injustes qui arrivent, de maladie, d'accident, que ce n'est pas bon de choisir la colère face à ce genre de choses. Ça ne ferait qu'épuiser d'avantage. Mais c'est tentant, et plus elle sert sa soeur contre elle et plus elle retient ses larmes plus elle sent aussi la colère qui bouillonne en elle, qu'elle tente au mieux d'étouffer. Il lui faut garder l'esprit clair, posé. Elle ne veut absolument pas craquer : ce n'est pas ça dont Skye a besoin. « Non. Je ne voulais que ça... » Soledad hoche la tête doucement, en empathie totale avec sa soeur. Elle ne veut que ça aussi. Les mots d'infirmière se bousculent dans sa bouche : il ne faut pas perdre espoir, il faut s'accrocher, etc, mais elle ne les dit pas. Déjà parce qu'elle veut la laisser parler et exprimer ce dont elle a besoin, ensuite parce qu'on a déjà du lui dire à l'hôpital.

« Oui, il m'a parlé de tout ça, même si je dois avouer ne pas avoir été totalement là à ce moment-là. Mais ce qui est certain, c'est que selon lui, c'est la greffe ma meilleure chance de m'en sortir. Il m'a fait entrer sur la liste d'attente aujourd'hui. » La greffe. Sole encaisse le coup, se disant que donc la piste de la guérison par chimio était reléguée au second degré. Qu'il allait falloir trouver un donneur... Et même pas moyen de faire appel à la famille. « D'accord. » répond-elle machinalement. « Sinon, je continue mon traitement, pour éviter que cela s'aggrave. » « Oui » reprend-elle encore. Elle veut réagir au mieux mais trop de choses se bousculent dans sa tête. Au final elle est obligée de se mordre les lèvres encore une fois pour s'éviter de pleurer. Une vague de lassitude l'envahit : elle se sent impuissante. Impuissante pour Skye, impuissante face à sa détresse et face à sa maladie.

« Pas vraiment ce que j'espérais pour être honnête... J'ai envie que ça s'arrête Sol... j'en ai marre d'être malade, d'être diminuée... » Malgré tout, un léger sourire vient sur les lèvres de Soledad. Sa soeur a pourtant tout fait pour ne rien montrer de ce qui la diminuait, sa manière à elle de rester forte comme le pouvait. Et d'y croire aussi, sûrement. « Je n'ai jamais vu quelqu'un rester aussi forte et pas le moins du monde diminuée, si ça peut te mettre du baume au coeur » dit-elle doucement. Et des malades, elle en voit tous les jours. « Il faut que tu continues à y croire, c'est comme ça que tu vas gagner contre la maladie. Je te promets de continuer à y croire en tout cas ! » Pas question de baisser les bras, pas maintenant, après tout ce chemin. « Mais si tu as besoin d'exprimer tout ça, tu sais que je suis là, et qu'il y a des solutions. Un psy de l'hôpital ? Il y a des groupes de soutien aussi, je ne sais pas si tu y es déjà allée... Ça peut t'aider à te sentir soutenue par d'autres gens qui vivent les mêmes choses que toi, et aussi à ne pas te définir par ta maladie. S'il faut changer quoi que ce soit pour t'aider, je peux me renseigner autour de moi. » Elle a l'avantage de s'y connaître un peu dans le domaine. Sa main vient serrer celle de sa soeur. « Je voudrais te dire que ça va s'arranger bientôt mais ça, on n'en sait rien, et je crois que tu préfères entendre la vérité. Mais une chose est sûre, la bataille n'est pas finie et on ne va rien lâcher. J'y crois. C'est déjà incroyable comment tu t'es battue jusque là et ça ne veut pas dire que c'est fini, d'accord ? » Maintenant, tous les espoirs reposent en partie sur la greffe. Un donneur peut mettre du temps à arriver, c'est bien là le problème, mais ce n'est pas impossible, et Soledad a besoin de se raccrocher à quelque chose.

Ne pas perdre espoir. Skye ne doit pas perdre espoir. Combien de fois a-t-elle entendu cette phrase depuis qu'elle a été diagnostiquée ? Bien trop à son goût... Pourtant, jusqu'à aujourd'hui, elle a tenu bon, elle a pris cette phrase de manière positive, mais après l'annonce de son médecin, elle ne veut plus l'entendre. Elle en a marre d'être malade, elle en a marre d'être diminuée. La jeune femme a enduré bien des choses pour se soigner, elle s'est prêté à des tas d'examen, à des expériences. Tout ça, pour rien au final... Limite, elle aurait préféré entendre que son cancer avait grosse, s'était aggravé, plutôt que d'entendre que rien n'a bougé. Rien.

Des larmes coulant toujours sur ses joues, Skye confie cela à sa soeur désormais à ses côtés, qui l'épaule, comme toujours depuis qu'elle le sait. Un vrai soutien. Et quelqu'un qui ne veut que penser au positif, qui veut lui donner de la force, la Peterson le sait, le ressent. Surtout quand elle l'entend la réconforter, en lui disant qu'elle est forte, plus forte qu'elle ne l'a jamais vu. Puis, elle ajoute qu'il faut qu'elle continue à y croire. Les larmes de la jeune femme redoublent alors, tandis qu'elle se laisse aller dans les bras de Sol.

- Je ne suis pas forte...

Souffle-t-elle entre deux sanglots. Non elle ne l'est pas. Elle ne l'a jamais été à ses yeux, elle a juste été lâche: elle a caché sa maladie à ses proches pendant des semaines, et aujourd'hui, elle ne se sent plus capable de supporter tout ce qu'elle vit depuis des mois. Alors oui, elle se sent lâche. Et Skye doute qu'en parler lui fasse du bien, comme le lui propose Soledad, en parlant de psy et de groupe de soutien. Peut-être que c'est une bonne idée. Peut-être que ça ne l'est pas non plus.

- Je ne sais pas.

Soupire doucement Skye, en haussant les épaules.

- J'ai peur que cela me démoralise que d'aller dans un groupe de soutien. Je veux dire, d'entendre les histoires des autres.

Spécialement si elles sont déprimantes. La sienne l'est déjà, déprimante, elle n'a pas forcément envie d'en rajouter. Surtout qu'elle ne sait pas si tout cela va s'arranger, ce que souligne sa soeur. Mais elle a raison, la bataille n'est pas finie. Il lui reste la greffe. Son seul et unique espoir désormais. Certainement plus compliqué à obtenir que l'aide d'Obi-Wan Kenobi, mais il ne faut pas baisser les bras. Alors, elle se redresse doucement et passe une main sur son visage pour essuyer ses larmes.

- Tu as raison, la bataille n'est pas finie.

Elle tente de sourire, en vain. Elle n'y arrive pas.

- Mais il faut peut-être que je me prépare à l'éventualité de ne pas la gagner. Et surtout au fait que je vais dépendre d'un coup de téléphone à toute heure du jour et de la nuit désormais. En espérant qu'il arrive vite.

Ce n'est pas du tout la soirée qu'elle avait envisagé, en débarquant ainsi chez sa soeur, et Soledad se demande combien de fois encore monde va-t-il s'effondrer sous ses pieds ? Quand est-ce qu'on va lui foutre la paix, à elle, à sa famille ? Mais ce n'est pas le moment de s'énerver ou de penser à ce genre de choses, et elle le sait. Toute son attention est concentrée sur sa soeur qu'elle tient dans ses bras, et son cerveau mouline avec autant d'intensité que quand elle est aux urgences, de garde, en plein branle-bas de combat. Ne rien lâcher, ne rien manquer, ne pas se laisser submerger par les sentiments. Pour Skye, elle doit rester forte à son tour. La greffe la terrifie, elle ne va pas le nier. C'est que le stade de la chimio est dépassé, et c'est aussi une attente qui commence, un espoir en suspens, car il faut trouver le bon donneur, il faut que quelqu'un meurt pour que Skye vive et il faut aussi que l'opération se déroule sans complications, que la greffe prenne. Ce sont des obstacles en travers de son chemin et Soledad ne les connait que trop bien. Il reste beaucoup à faire, et elle sait combien le combat va être long et éprouvant.

« Je ne suis pas forte... » Cette affirmation de sa soeur lui parait trop grotesque pour qu'elle ne souffle pas entre ses lèvres avec une pointe d'amusement, malgré le sérieux de la situation. Je ne suis pas forte ? Tu es tout le contraire. « Oh, querida » dit-elle seulement en la maintenant tout près d'elle et en continuant de la bercer, une main caressant tendrement son dos. Le simple fait de vivre tous les jours avec cette maladie, d'avoir le courage de se lever le matin et de mener sa vie quotidienne était une preuve de courage, que les patients avaient toujours du mal à appréhender. Mais Soledad sait que ce courage-là n'est pourtant pas à la portée de tout le monde. Encore plus sans rien dire, sans se plaindre, en portant le fardeau seule.

« Je ne sais pas. J'ai peur que cela me démoralise que d'aller dans un groupe de soutien. Je veux dire, d'entendre les histoires des autres. » C'est un risque, oui, mais Soledad sait aussi qu'il y a bien plus dans ces groupes et que les gens s'apportent beaucoup d'ondes positives. « Je comprends. Mais j'ai eu des retours très positifs aussi, les gens ne viennent pas forcément là pour vider leur sac mais pour se soutenir les uns et les autres et partager leurs espoirs. Tu pourrais juste essayer — rien ne t'oblige à y retourner. C'est comme tu veux. » Elle parle avec toute la douceur dont elle est capable, parce qu'elle sait que Skye n'a pas besoin qu'on choisisse pour elle, elle veut juste lui apporter toutes les options possibles. « Ton histoire pourrait inspirer des gens, tu sais. » Parce qu'elle n'a pas baissé les bras, parce qu'elle a continué sans faiblir. Ce n'est pas parce qu'elle craque maintenant qu'elle a échoué ; c'est une bataille qui se fait au mental et sur la longueur.

« Tu as raison, la bataille n'est pas finie. » Une vague de chaleur envahit l'infirmière, ce n'était pas grand chose mais au moins si en essayant de la motiver un peu elle avait réintroduit un peu de courage dans le coeur de Skye... C'est déjà énorme. Elle cache un léger sourire en posant sa joue sur la tête de sa soeur. Avant de se prendre ensuite la douche froide du siècle : tout retombe d'un coup à l'intérieur d'elle-même. « Mais il faut peut-être que je me prépare à l'éventualité de ne pas la gagner. Et surtout au fait que je vais dépendre d'un coup de téléphone à toute heure du jour et de la nuit désormais. En espérant qu'il arrive vite. » Plissant les paupières, elle retient ses larmes de toutes ses forces tandis que son coeur bat la chamade. « Oh, Skye, ne me laisse pas » C'est sorti tout seul : elle n'a pas pu le retenir. Une supplique murmuré à sa soeur parce qu'elle ne peut pas s'imaginer que Skye un jour ne soit plus là. « Ne baisse pas les bras, ne m'abandonne pas, s'il te plaît... » rajoute-t-elle nerveusement. On ne peut pas dire que la vie des Peterson est un long fleuve tranquille, loin de là, mais malgré tout Soledad a des attaches fortes et importantes qui lui permettent de tenir bon ; Skye en fait partie. Sans elle, qu'est-ce qu'elle deviendrait ? Elle essaye de se reprendre : « Oui, cette attente, c'est compliqué à vivre... Tu peux me mettre en numéro de secours si tu veux... Tu sais bien que je serai là avec toi de A à Z, selon tes termes. Et je reste avec toi aussi longtemps que tu en as besoin. » Elle ne peut rien faire de plus que de se mettre à la disposition de sa soeur de toute façon, elle n'a pas les pouvoirs magiques pour la sauver. Et elle le sait pertinemment, ce qui n'arrange rien aux larmes qui coulent sur ses joues à son tour et qu'elle ne parvient pas à ravaler.