Hope & Owen

Souquez les artimuses

Le silence est d’or et il règne en maître dans la demeure des O’Connor. Cirilla n’est pas là, elle vaque à ses occupations. Son père, une fois n’est pas coutume, a le nez plongé dans ses dossiers. Acharné du travail, il ne vit littéralement que pour ça. D’autant que depuis quelques mois – depuis le retour d’Ava – il ne fait plus grand-chose d’autre. S’il a eu une baisse de régime suite à la fusillade, cette époque est à présent révolue. Revoir la mère de sa fille et revivre ses traumatismes dans la même soirée l’a fortement chamboulé. A tel point qu’il a doublé ses heures déjà conséquentes de boulot. La semaine, le week-end, il ne fait plus que ça. Et principalement de chez lui, pour éviter de côtoyer trop de monde et se laisser déconcentrer. Il faut dire que certains de ses collègues ont le chic pour lui taper sur le système ou venir le déranger pour lui raconter leur vie dont il se fiche éperdument. Il n’y a pas à dire, chez lui il est bien plus tranquille pour se concentrer.

Du moins, quand personne ne vient le déranger. Etrangement, ses amis se sont passés le mot et viennent lui rendre des visites impromptues sans même s’être annoncés au préalable. Ezra ne cesse de l’emmerder, que ce soit par téléphone ou physiquement en s’invitant chez lui tout seul. Comment oublier cette sortie désastreuse où l’avocat a littéralement craché ses poumons ? Les deux hommes n’ont absolument pas la même condition physique, et Owen gros fumeur, n’a clairement pas les capacités sportives du commun des mortels. Alors suivre une machine de guerre comme son meilleur ami ? Il a réellement cru mourir ce jour-là. Un mauvais souvenir parmi tant d’autres. Aujourd’hui, quelqu’un a encore décidé de le déranger. Soupirant un grand coup, il attrape sa cigarette entre ses doigts et se lève de sa chaise pour aller ouvrir en trainant les pieds. S’il s’agit encore d’un démarcheur, il ne sera pas déçu du voyage.

Mais non. C’est Hope qui apparait dans son champ de vision. Le visage fermé, il ne décroche pas un mot tant qu’elle n’a pas terminé son petit speech. Un léger soupir finit tout de même par s’échapper de ses narines quand il comprend qu’elle aussi a décidé de le faire sortir de chez lui. « Je vois que vous vous êtes passés le mot pour me kidnapper. » Et pour me faire chier, pense-t-il si fort que la réplique manque de peu de s’échapper. « Je vais finir par porter plainte. » Pas de sourire, pourtant il plaisante bel et bien. Techniquement. Amenant sa cigarette entre ses lèvres, il finit par croiser les bras, pas vraiment décidé à aller où que ce soit. « J’ai beaucoup de travail, par conséquent, pas vraiment le temps de jouer aux pirates pour un festival foireux. Que je sois là ou non, Faith ne verra pas la différence. » Pas à cet âge, n’est-ce pas ? « Je doute donc fortement qu’elle veuille que je vienne. Sa maman lui suffira. » Dur en affaire, Owen n’est pas homme à capituler facilement. Il faut parfois employer la ruse, ou utiliser des arguments convaincants. Peut-être que jouer sur l’influence du tueur en série peut fonctionner, qui sait ? Dans tous les cas, il va falloir utiliser les bonnes cartes si Hope souhaite obtenir gain de cause face à la ténacité et l’entêtement de l’avocat.

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Affirmer qu’Owen n’est pas sociable est un bel euphémisme. Non pas qu’il déteste le contact humain – presque – mais dans sa vie privée, il n’aime pas spécialement être trop entouré. Le strict minimum lui suffit amplement et ses deux meilleurs amis comptent déjà pour bien plus que deux. Les événements de cette dernière année n’ont fait que renforcer son caractère casanier et asocial mais ni Hope ni Ezra n’en démord pour autant, bien décidés à lui changer les idées et à le faire sortir de sa grotte quoi qu’il en coûte. Un mal pour un bien, même si l’avocat ne l’entend pas de cette oreille. Il faut dire qu’il a son petit caractère et lui faire entendre raison est bien souvent pire que le parcours du combattant. Loin d’être une mince affaire, il faut souvent persévérer jusqu’à l’épuisement. « Triste n’est pas le mot que j’emploierais. Epuisant convient bien mieux. » Il exagère à peine, de son point de vue.

L’excuse du travail incessant est celle qu’il emploie à toutes les sauces. La plus facile. Mais également la plus véridique aussi. Oui, Owen a toujours une charge de travail monstrueuse mais c’est entièrement de sa faute. C’est lui qui accepte toujours plus d’affaires quitte à crouler sous les dossiers. Réfléchir pour ses clients est la meilleure solution qu’il a trouvée pour vider son esprit de toutes les pensées parasites qui alimentent ses insomnies la nuit. Alors oui, il a beaucoup de travail et c’est facile de se cacher derrière cet état de fait. Pour autant, organisé comme il l’est, il a beau être débordé, il est loin d’être en retard sur ses dossiers en cours. C’est même tout l’inverse en réalité. Cependant, Hope sait également amener des arguments convaincants. En tant que parrain, il est effectivement dans son devoir de s’occuper un minimum de la petite Faith. « Je doute qu’à cet âge, elle ne supporte plus de voir sa mère. » Non, il ne rebondira pas sur son rôle de parrain puisque sur ce point, son amie a raison. Cirilla a toujours été collée à son père et ne l’a jamais repoussé même quand ses grands-parents s’occupaient d’elle le temps qu’Owen finisse ses études.

Cependant, une nouvelle fois, Hope marque un point. Elle sait toucher les faiblesses et appuyer sur les points sensibles. Faire des pauses améliore la productivité. Un argument de poids. Renvoyer son excuse et rebondir dessus. Aller dans son sens pour le convaincre. L'infirmière n’est pas sa meilleure amie pour rien. Soupirant un coup, il jette un œil à la voiture de Hope stationnée juste devant sa maison, apercevant sa fille par la vitre arrière. Une petite pause ne peut pas faire de mal, n’est-ce pas ? D’autant que la menace du tueur en série plane toujours sur la ville et ses alentours. Il y a peu de chance qu’il se passe quoi que ce soit à un festival bondé, mais sait-on jamais. « Très bien, mais pas longtemps. » A peine quelques heures si on prend en compte la durée du trajet. « C’est bien parce que c’est toi. » Tournant les talons, il retourne dans son salon pour récupérer son téléphone, son paquet de cigarettes et ses papiers avant d’attraper une veste et d’enfiler ses chaussures. Fin prêt, il quitte sa maison et verrouille la porte derrière lui. « Ne m’oblige pas à me déguiser, à me maquiller ou n’importe quelle connerie de ce genre parce que c’est non d’avance. » Il fera acte de présence, c’est déjà un énorme pas en avant. Il ne faut pas trop lui en demander. Avançant jusqu’à la voiture de son amie, il prend place sur le siège passager et se retourne vers sa filleule, fin sourire aux lèvres, avant de boucler sa ceinture. « Coucou petite puce, j’espère que tu es prête à voir des pirates et aussi impatiente que ton parrain d’y être. » Ironie, quand tu nous tiens. De nouveau en place sur son siège, il jette un bref coup d’œil à sa meilleure amie. « A moins que ta mère ne m’ait vendu des salades. » Et qu’en réalité, la petite s’en contrefiche totalement de la présence d’Owen, ça n’aurait rien d’étonnant vu son âge.

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Il y a des erreurs à ne pas commettre. Owen étudie toujours tout en détail avant de se lancer dans quoi que ce soit. L’endroit, le plus important, l’heure du potentiel rendez-vous, les personnes qui seront présentes mais également le temps minimum de présence requis. Des tas de paramètres qu’il se doit d’appréhender avant de se lancer dans la fosse aux lions. C’est primordial pour un homme aussi organisé et maniaque du contrôle que lui. Pourtant, cette qualité lui fait cruellement défaut aujourd’hui. Difficile de refuser quoi que ce soit à ses meilleurs amis. Aujourd’hui, c’est Hope aux commandes, ainsi que l’adorable petite Faith. Owen n’aime pas les enfants et il n’existe que très peu d’exceptions dans ce monde, la fille de sa meilleure amie en fait partie. Une chance pour elle. Le fait qu’il en soit parrain n’y change pas grand-chose – ou presque. Face à la persévérance et l’insistance agaçante de Hope, il finit par baisser les armes et capituler. Sortir pour changer d’air ne lui ferait pas de mal. Il n’est pas bon de se surmener et de se plonger à corps perdu dans son travail pendant des jours entiers. Sauf quand on s’appelle Owen O’Connor.

L’erreur de débutant qu’il commet en acceptant de la suivre est de ne pas poser de question. Lui si curieux d’habitude faillit à son rôle de commère. La perspective de passer du temps dans un univers pirate ne l’enchante pas le moins du monde, se maquiller encore moins. Impossible de lui promettre de ne pas tirer la tronche – c’est déjà le cas. Il aurait dû tiquer, pourtant. « Interdiction de tirer la tronche toute l'après-midi ! » Toute l’après-midi ? Combien de temps compte-t-elle le kidnapper ? Une  question qui ne lui effleure malheureusement pas l’esprit et dont la réponse l’aurait sans doute poussé à faire demi-tour sur le champ. Dommage qu’il perde ses réflexes de psychorigide avec la femme qui le connait le mieux en ce monde. Vraiment dommage. Ce n’est qu’un bout de quelques kilomètres de route, ne percevant ni l’arrivée ni le moindre panneau signalant l’événement qu’il commence à s’interroger. « Où est-ce qu’il se trouve ton festival ? » Parce qu’en plus de ça, il n’en a pas entendu parler – ou n’y a pas suffisamment prêté attention. La réponse tombe bien vite ; Lake Charles à trois heures de route, et avec elle c’est le désespoir d’Owen qui s’écrase sur ses épaules et qui anéantit le peu de patience dont il dispose. C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? Le sol s’ouvre littéralement sous ses pieds. Dépité, agacé de s’être fait avoir comme un bleu, c’est en soupirant toutes les trois minutes montre en main, en râlant et en pestant qu’il a passé tout le reste du trajet. Un vrai bonheur.

Arrivé à destination après un voyage in-ter-mi-nable, c’est en tirant une tronche de dix kilomètres de long qu’Owen s’extirpe de la voiture. Ses prunelles glaciales balayent les alentours et il regrette instantanément d’avoir accepté. Trop d’enfants, trop de déguisements, trop de joie, trop de vie. Et surtout, trop de monde. Tout ce qu’il déteste. Ce sentiment d’oppression qui lui titille les entrailles fait écho à ce jour funeste au centre commercial. Autant de monde, à un détail près qu’ils se trouvent en extérieur présentement. Pas de risque de fusillade, a priori. Par réflexe et parce qu’en trois heures il n’a pas pu fumer, il récupère une cigarette qu’il allume rapidement. Une dose de nicotine pour calmer ses nerfs, une valeur sûre. A la question de son amie, il se tourne vers elle, la mine renfrognée. « Je te déteste, je te l’ai déjà dit ? » De nombreuses fois mais il ne le pense jamais réellement. Au fond. Il soupire une nouvelle fois, expirant des volutes de fumée qui s’évaporent dans l’air. « Ne me demande pas ce que je veux faire en premier ou ce genre de connerie parce que ma réponse sera toujours la même ; rien. » A choisir et s’il n’écoutait que lui, il remonterait illico presto en voiture. « Alors laissons Faith décider avant que tu ne décides de m’emmener dans un nouveau guet-apens. » Eloignant sa cigarette de ses lèvres, il s’approche de son amie pour se pencher légèrement vers la petite fille. « Par quoi tu veux commencer, princesse ? » Il jette brièvement un œil autour de lui pour visualiser les quelques stands à proximité. « Tu veux te maquiller en pirate ? Jouer à la pêche aux canards ? Manger quelque chose ? » Il se redresse pour reporter son attention sur Hope, reprenant son ton froid habituel. « Je suppose qu’il y a de super spectacles dans ce merveilleux festival. » L’ironie est palpable et il exagère énormément sur les adjectifs positifs de sa phrase. « J’ai tellement hâte. » Annoncé sans aucun entrain, évidemment. Il a surtout hâte de rentrer chez lui.

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Lake Charles. Presque l’autre bout du monde, littéralement. Sur ce coup là, Hope l’a bien eu. Définitivement, on ne l’y reprendra plus à la suivre sans poser de questions au préalable. Evidemment, Owen ne déteste pas son amie. Hope en a parfaitement conscience mais il ne peut se retenir d’exprimer son désarroi à haute voix. Que serait l’avocat s’il ne râlait pas un minimum chaque fois que l’occasion se présente ? Il ne serait pas lui. Si le trajet est un calvaire sans nom, son humeur ne s’arrange pas le moins du monde en arrivant sur place. Du monde à perte de vue, du brouhaha incessant, des gosses qui courent partout et qui s’enthousiasment un peu trop à son gout. L’enfer sur terre, ni plus ni moins. C’est tellement difficile de quitter le calme de son salon pour un tel bordel en plein air. Owen ressent soudainement quelques envies de s’enfuir en courant. Dommage qu’il ne détienne pas les clés de la voiture.

La mauvaise volonté toujours bien présente, l’avocat laisse volontiers la fillette choisir l’activité qui lui plait. Après tout, ils sont là pour elle, et pour personne d’autre. L’enthousiasme débordant, c’est sans hésiter que la petite Faith opte pour la pèche aux canards. Chouette, Owen s’en réjouit d’avance. « Vendu alors. » Pas le choix. Par réflexe et parce qu’il en a grandement besoin en cet instant, il récupère une cigarette qu’il allume rapidement. En extérieur, il ne gênera personne. Et quand bien même, il s’en contrefiche. Trainant les pieds à proximité de la mère et la fille, il les suit sans se départir de son air renfrogné. Il compte bien le garder toute la journée. A la remarque de son amie, son expression reste profondément la même. « Râler c’est presque mon deuxième métier, tu es habituée, tu ne devrais même pas t’en formaliser. » Quoi de mieux que de passer l’après-midi avec sa meilleure amie et sa filleule ? Beaucoup de choses lui viennent en tête mais au fond, ça ne lui déplait pas tant que ça, malgré le contexte. Mais ça, il ne l’admettra jamais. La fierté, quel fléau. « Tu as intérêt à tenir ta promesse parce qu’elle vient de s’imprimer dans mon esprit. » Et comme tout le monde le sait, Owen O’Connor n’oublie jamais rien.

Au plus grand désarroi de l’avocat, d’ailleurs, il n’y a pas foule au stand de la pèche aux canards. La gamine se précipite et le vendeur, visiblement trop ravi d’avoir des clients, ne tarde pas à leur adresser un large sourire et à les saluer. Jusque là, rien d’anormal. Glissant l’une de ses mains dans ses poches, l’autre alternant quelques mouvements avec sa cigarette entre ses doigts, Owen reste légèrement en retrait pour laisser Faith profiter pleinement de son nouveau jeu du moment. Malheureusement pour lui et pour son asociabilité maladive, l’homme du stand se montre un peu trop expansif et bavard à son gout. Si sa tchatche ne semble pas perturber la fillette, l’avocat ne peut s’empêcher de le dévisager de son regard glacial et perçant. L’homme complimente l’enfant en observant alternativement ceux qu’il juge visiblement être ses parents. Qu’importe, Owen ne s’en formalise pas, peut-être même qu’il interprète mal. En revanche, l’entendre déblatérer de telles banalités titille déjà sa patience inexistante. Après quelques minutes de bavardages inutiles et de perte de temps, il ne peut s’empêcher de lancer froidement : « Ne vous sentez pas obligé de nous tenir la jambe inutilement parce que vous vous ennuyez profondément. Contentez-vous de faire votre travail sans nous assommer de banalités sans nom. » Oui, un avocat impatient et de mauvaise humeur est un avocat tranchant. La curiosité mal placée de ce type l’agace fortement. C’est ainsi et pas autrement.