L'idée tournait dans sa tête depuis un moment. Elle avait commencé à en parler avec sa psychologue quand cette dernière lui avait conseillé d'être un peu plus égoïste mais Annabel avait refusé d'y penser jusqu'à la semaine dernière. C'était banal, elle était allée racheter du tissu et elle s'était arrêtée devant la vitrine d'une agence immobilière. De là ses yeux avaient naturellement commencé à glisser sur les diverses offres et Annabel avait ressenti un pic d'excitation. C'est à ce moment qu'elle avait comprit qu'elle était prête et qu'elle pouvait prendre son envol sans peur de laisser son monde s'écrouler. Restait un seul problème: Alex. Son frère n’était pas fait de porcelaine et il n’avait pas besoin qu’elle lui tienne la main à chaque instant de sa vie et pourtant, pourtant Annabel n’arrivait pas à lui avouer qu’elle s’apprêtait à quitter la maison familiale. Elle avait cherché plusieurs fois à lancer la conversation avec lui sans réussir à faire sortir les mots qui lui brûlaient la gorge. Généralement elle se contentait de se rattraper en lançant un sujet bateau mais elle voyait bien qu’Alex n’était pas dupe. Pourtant cela n’avait rien d’exceptionnel. À son âge nombreux étaient ceux qui ne vivaient plus chez leurs parents, à vrai dire Anna était une exception.

C’était en voyant le flyer qu’elle s’était convaincue que le moment approchait. Le French Quarter Festival. L’évènement avait lieu tous les ans et Annabel savait que son frère en appréciait particulièrement l’ambiance. Ils s’y rendaient tous les ans, ensembles, avec Scott ou leurs amis respectifs aussi le fait de lui proposer ne semblait pas venir de nul part. D'une certaine manière, Annabel se disait qu'il lui serait sans doute plus simple d'avoir une conversation avec son frère dans un endroit neutre, loin de la maison.

Annabel avait donné rendez-vous à son frère sur le lieu du festival à 15h, de manière à se laisser assez de temps pour passer à la fac avant. La jeune femme avait passé de nombreuses années à faire ce qui lui paraissait juste au lieu de simplement faire ce qui était bon pour elle. Elle s'était relégué au second plan pour mieux s'occuper des autres mais maintenant Annabel était fin prête à passer au premier plan.
Debout prêt de l'arche marquant l'entrée du festival elle scrutait la foule à la recherche des boucles brunes d'Alex en triturant nerveusement la feuille qu'elle tenait. Elle venait de franchir une nouvelle étape et étrangement, malgré sa nervosité Anna se sentait bien. Alors ça ne pouvait être que positif n'est-ce-pas ? "Alex !" s'écria t-elle tandis que ces yeux repéraient son frère. Elle agita ses bras avant de le rejoindre en s'efforçant de sourire. "C'est dingue le monde qu'il y a !" Fuyant le regard de son frère, Annabel se détourna presque immédiatement pour faire face à la foule. "Tu veux commencer par quoi ? On peut manger, ou alors j'ai vu un super aquarelliste là bas..."

Passer l'après-midi avec ma sœur au French Quarter Festival : que rêver de mieux ? Il faisait beau, chaud, j'adorais ce festival, on allait sortir, profiter, kiffer, passer du temps ensemble, oublier ce qui pouvait ne pas aller hyper bien ou ne pas aller tout court... En un mot : le paradis. J'appréhendais un poil le regard scrutateur d'Annabel si jamais on se mettait à évoquer le désastre de mes conquêtes amoureuses, mais si j'arrivais à bien manier la barque tout irait bien. Alors je m'étais préparé en sifflotant, en jouant à moitié avec Potiron et sa balle (nouvelle passion du moment : il fallait lui lancer absolument partout, tout le temps). Le truc, c'est qu'à un moment je l'avais si bien lancé dans le jardin que le chien avait atterri dans les plates-bandes et saccagé les jolies petites fleurs jaunes en train de s'ouvrir à peine, si bien que j'avais dû me pencher un peu plus longuement sur le problème que l'habituel bah, je verrai ça plus tard. En fourrant le nez dedans, quand j'avais dit saccagé, eh bien, le mot était juste. Les trois quart étaient complètement défoncées, et Potiron se roulait dans les dernières qui restaient, parce que visiblement c'était l'endroit le plus parfait de la terre pour se gratter le dos. A grand renfort de cris et de gestes exagérés, je réussis à le dégager, mais le mal était fait - l'assassinat avait eu lieu. Merde, alors. Mon père allait râler, Scott allait probablement me décapiter et Anna allait être triste parce que je savais qu'elle adorait ce parterre de fleurs, qui était toujours soigné et hyper joli, ma mère avait planté tout ça alors évidemment qu'on mettait un point d'honneur à ce que tout reste magnifique... Sauf Potiron. Je farfouillai encore un peu, étoffant les trous avec les fleurs d'à côté. Au moins, elles avaient un peu plus de place pour s'étaler maintenant... Bref. Pour la peine, Potiron resterait ici. Est-ce que c'était ma faute si la balle avait atterri dans le massif ?? Bon, un peu. Mais pas que non plus.

Je partis en voiture parce que j'avais rendez-vous, juste après le déjeuner, chez une pote pour qu'on finalise un projet pour les cours. On avait misé sur une petite heure, ça nous prit une heure pile, parfait. Je n'avais plus qu'à m'avancer un peu vers le festival, trouver une place, et retrouver Anna.

J'étais dans un bon mood depuis quelques jours : un mood forcé, mais un bon mood. Forcé, parce que je sentais que j'étais à deux doigts de basculer vers le mauvais (inutile de s'étendre sur Ella, Rory et compagnie) alors du coup je me conditionnais à avoir la pêche, à sourire, à positiver, histoire de prendre le taureau par les cornes. Fake it until you make it, comme on l'apprenait aux réunions. Ca marchait, pour le moment. J'avais juste glissé mes affaires dans mon sac à dos, mis mes lunettes de soleil sur le nez, et je scrutai la foule, le sourire aux lèvres.

« Alex ! » Je lui fis coucou, accélérant le pas vers elle. Elle était pile sous l'arche de l'entrée, ce qui attisa encore plus mon excitation. J'adorais ces ambiances. « C'est dingue le monde qu'il y a ! » Curieux. Oui, il y avait du monde, mais rien d'inhabituel. Je haussai vaguement les épaules. En fait, ma sœur avait l'air un peu embêtée. Je fronçai mes sourcils, derrière mes lunettes de soleil. « Tu veux commencer par quoi ? On peut manger, ou alors j'ai vu un super aquarelliste là bas... » « Hmmm... J'ai super soif ! On prend un jus ou un smoothie pour commencer ? J'ai pas trop faim encore » fis-je en lui emboîtant le pas, parce qu'elle avait déjà démarré. Mais elle était pressée ou quoi ? « Et après on ira voir les stands !! Je t'ai dit que j'ai un pote qui a un stand avec ses tableaux, justement ? Mais c'est pas de l'aquarelle et c'est assez... spécial, tu verras » dis-je avec un petit sourire aux lèvres. L'art n'avait pas de règles, je le savais très bien. Mais les tableaux de mon pote en question s'apparentaient plus à des gros tas informes de couleurs et j'avais hâte d'entendre l'avis de ma sœur. Sauf que, vraiment, Anna était bizarre, non ? Elle paraissait... Ailleurs. Et tout d'un coup, je compris. Oh non. Oh merde. Planté devant la liste des parfums de smoothie, je me tournai nerveusement vers elle. Merde, merde, merde. « Boubou je suis désolé pour les fleurs, c'est de ma faute » Elle avait dû repasser à la maison après que je sois parti, et constaté le carnage. « Je te jure que j'ai pas fait exprès. Potiron s'est jeté dedans comme un sauvage. Je te promets que je vais les remplacer, la même espèce, la même couleur, on n'y verra que du feu » Je ne pensais surtout pas que ça lui ferait autant de peine, mais bon, ma sœur était une sensible et moi aussi, alors je n'allais pas lui jeter la première pierre. « T'es fâchée ? »

Tout va bien se passer. Annabel se répétait cette phrase en boucle en attendant son frère. Elle ne faisait rien de mal, rien du tout alors est-ce qu'il pouvait vraiment lui en vouloir ? Elle n'eut pas le temps de se tourmenter plus puisqu'elle vit son frère dans la foule et s'empressa de le rejoindre.
Quiconque connaissait Annabel n'aurait pu la qualifier de zen. Elle était fondamentalement nerveuse, un rien suffisait à la faire se ronger le frein alors maintenant ? Sur un changement de vie aussi important ? La Lake était terrifiée. C'est pourquoi elle se lança immédiatement dans une suggestion de questions/propositions, espérant ainsi que son frère ne remarquerait ni sa nervosité, ni le papier qu'elle tenait et qu'il suivrait tout simplement sa piste. "Hmmm... J'ai super soif ! On prend un jus ou un smoothie pour commencer ? J'ai pas trop faim encore " Trop heureuse de décaler un peu l'heure des révélations, Annabel hocha avidement la tête et se mit à marcher rapidement vers un stand de smoothies. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle aurait commandé une quinzaine de smoothies pour rallonger le temps mais Alex ne lui laissa pas le temps d'arriver au stand qu'il se remit à parler "Et après on ira voir les stands !! Je t'ai dit que j'ai un pote qui a un stand avec ses tableaux, justement ? Mais c'est pas de l'aquarelle et c'est assez... spécial, tu verras" Anna le regarda et se força à sourire. "Ok Boubi !" Peut-être était-ce du à la légère once de tension qui s'était invitée dans sa voix mais Alex s'immobilisa et son visage pâlit d'un coup. "Boubou je suis désolé pour les fleurs, c'est de ma faute. Je te jure que j'ai pas fait exprès. Potiron s'est jeté dedans comme un sauvage. Je te promets que je vais les remplacer, la même espèce, la même couleur, on n'y verra que du feu "

Il fallut à Annabel quelques secondes pour comprendre qu'il ne venait pas de lui dire qu'il savait qu'elle voulait déménager mais qu'il lui parlait de fleurs. " Les .. fleurs ?" Elle fronça légèrement les sourcils tentant de comprendre ce qui pourrait faire croire à Alex qu'elle pouvait lui en vouloir pour une histoire de fleurs. "T'es fâchée ?" Elle secoua la tête. Logiquement elle ne pouvait être fâchée pour quelque chose qu'elle ne savait pas. "Non non boubi t'en fais pa.. attends tu parles des fleurs de maman ?" Soudainement les pièces du puzzle s'assemblèrent et elle regarda son frère attendant qu'il confirme, ou infirme, sa déduction. Elle ne pu néanmoins pas s'empêcher de soupirer de soulagement, Alex ne savait rien de son projet ni de ce qu'elle venait d'accomplir. La feuille signant son départ de l'université toujours dans sa main, Annabel s'en servit pour s'éventer et adressa sa commande au vendeur qui attendait qu'ils se décident. "Je prendrai un banane, ananas, fruit de la passion s'il vous plait "

C'était bizarre, parfois, le deuil, on se rattachait à des petits choses toutes bêtes, à des détails qui n'auraient sans doute rien dit en temps normal, mais quand la personne n'est pas là, tout est différent. Papa, Scott, Anna et moi, on avait des façons radicalement différentes de gérer le deuil de Maman. C'était normal parce qu'on était tous différents, jusque là ok, mais parfois c'était un peu déstabilisant. Moi j'adorais parler d'elle et de mes souvenirs ou de nos souvenirs en famille et parfois quand j'oubliais qui j'avais en face de moi et que je commençais à en parler en long en large et en travers je voyais Scott se renfermer complètement, des trucs de ce genre. De mon côté, j'adorais retrouver des choses qu'elle m'avait offertes, ça me faisait sourire, même des petits trucs pas importants, mais alors il suffisait que je pense à ce voyage que ma mère m'avait toujours promis,aller voir des baleines au Canada parce que c'était mon rêve de gamin, pour que ça me donne envie de chialer direct. La moindre image de baleine pouvait me donner la larme à l'oeil, c'était bizarre, mais c'était comme ça. Pour ma soeur en revanche c'était difficile à décrypter, parfois. Voilà pourquoi j'étais au bout de ma vie de cette histoire de fleurs : je voyais bien qu'Anna n'était pas bien, il y avait un truc qui clochait, peut-être qu'elle n'osait pas me le dire parce qu'elle savait que ce n'était pas moi qui avais saccagé le massif, mais qu'elle m'en voulait quand même au fond parce que c'était mon chien ?...

« Les... fleurs ? » Mais, pourquoi est-ce que j'avais l'impression qu'on ne se comprenait pas ? « Non non boubi t'en fais pa.. attends tu parles des fleurs de maman ? » ... Voilà. On y arrivait.  Le drame et... Mais quoi ? Tout d'un coup, on aurait dit qu'elle était soulagée. J'étais complètement à côté de mes pompes, ou quoi ? « Bah, euh, oui, tu pensais que je parlais de quoi ?! » Pas des fleurs du voisin en tout cas...

« Je prendrai un banane, ananas, fruit de la passion s'il vous plait » Bon, ok. Moi, je n'y captai plus rien. Plus rien du tout. « Myrtille, framboise et mûre pour moi s'il vous plaît » ajoutai-je après elle, attendant quelques secondes en silence, me demandant ce qui était en train de se passer, au juste. Machinalement je suivis du regard la main de ma sœur qui s'éventait, tandis que le bruit de la machine indiquait que nos préparations étaient terminées. Et en tendant la main pour attraper mon gobelet, je compris enfin ce que j'étais en train de regarder. « Euh, c'est quoi ça ? » Parce que les papiers comme ça, je les connaissais. Je les connaissais même trop bien, vu que j'avais moi aussi été à la fac, que je n'avais rien foutu, que ça avait été une catastrophe, que j'avais manqué de me faire virer une bonne dizaine de fois et que du coup, je connaissais assez bien la paperasse officielle. D'un coup, je chopai le papier des mains de ma sœur. Un quart de seconde après lui avoir posé la question, évidemment, j'étais malin tout de même. Pas le temps de lui donner de l'avance. « Tu... Hein ? » D'avance je me préparais à la chambrer, elle avait séché, elle avait fait quoi, foutu le bordel dans un cour ?... « Mais » Mais rien de tout ça. Les mots ne semblaient plus trop vouloir venir. « C'est quoi ce truc Boubou ?? » Attendez - quoi ? Qu'est-ce qui était en train de se passer dans la tête de ma sœur ?!

L'ambiance était étrange. Elle savait qu'elle même n'était pas à l'aise mais Alex semblait définitivement tendu. Pourtant il ne pouvait pas savoir? Si? Elle n'en avait parlé à personne de sa connaissance et elle était certaine qu'elle n'avait laissé aucun indice indiquant son départ prochain trainer à la maison. Non il était définitivement impossible qu'Alex ait deviné quoi que ce soit mais cela n'expliquait toujours pas son comportement étrange. Son ne fit que s'accroitre quand son frère commença à parler. Les fleurs de maman ? Annabel adorait ces fleurs, elle en prenait soin de manière presque religieuse pour la simple raison qu'elles lui rappelait sa mère et pourtant à cet instant l'aveu de son frère la soulagea presque. Elle ne s'était jamais considérée comme quelqu'un de lâche mais actuellement elle devait s'avouer que son courage semblait s'être fait la malle. "Bah, euh, oui, tu pensais que je parlais de quoi ?!" Embarrassée par son manque de réponse, elle se mordilla l'intérieur de la joue évitant par la même occasion le regard de son frère. "De rien boubi...". Coupant court à cette discussion elle se tourna vers le stand de smoothies pour passer sa commande.

Il aurait été déshonnête de sa part de dire que l'aveu de son frère la laissait de marbre, ces fleurs étaient tout pour elle et à un autre moment elle aurait probablement montré sa tristesse mais pas aujourd'hui. Le stress l'emportait sur tout autre ressenti. Elle aurait pu lui parler de tout, du beau temps, de ses vêtements, de la couleur des feuilles dans les arbres, tout plutôt que de lui avouer qu'elle s'en allait. Et pourtant il lui était impossible de garder cela secret. Sa seule solution? Se concentrer sur sa commande de smoothie pour délayer un maximum le moment où elle devrait tout révéler à Alex. "Euh, c'est quoi ça ?" Bêtement, Annabel entama un mouvement pour cacher le papier qu'elle venait d'utiliser pour s'éventer mais Alex la devança. "Tu... Hein ?Mais..C'est quoi ce truc Boubou ??" Doucement, presque trop, Anna leva le regard jusqu'à croiser les yeux remplis d'incompréhension de son frère. Sans plus réfléchir la Lake prit une profonde inspiration avant d'ouvrir la bouche et de lâcher la plus petite bombe de son arsenal. "J'arrêtelafac" C'était dit, peut être pas assez articulé mais c'était sorti. "J'arrête le droit". Elle guetta une réaction sur le visage d'Alex et ne voyant rien d'outrageusement négatif elle se permit de continuer. "J'ai décidé de faire quelque chose qui me plait vraiment.. " Annabel fut interrompue par le vendeur de smoothie à qui elle régla leurs boissons mais elle reprit rapidement. ".. J'ai un entretien demain avec le département des costumes de l'Opéra..."

Le papier entre les mains de ma soeur, c'était déjà un indice chelou, mais alors sa réaction ?! Si elle avait été face à un tribunal, elle aurait été jugée coupable direct. On aurait dit qu'elle venait d'avouer la pire chose de sa vie en me regardant, et moi, plus ça avançait, moins je captais quelque chose. Je me fis la réflexion que cette histoire de fleurs n'était peut-être pas réellement le coeur de la conversation, et tout d'un coup, c'était comme si Anna et on avait été sur deux rails complètement différents. Je fis une grimace, complètement dépassé. « J'ai l'impression qu'on ne se comprend pas » glissai-je, à la fois perdu mais soulagé de ne pas lui avoir brisé plus que ça le coeur, visiblement, avec ces maudites fleurs.

« J'arrêtelafac » ... « Tu... Quoi ? » Non parce que pendant une seconde j'avais compris qu'elle avait dit : j'arrête la fac. « J'arrête le droit » Oh. Mon. Dieu. Comme un débile, je la fixai, la bouche entrouverte sous le coup de la surprise. Là, il allait falloir qu'elle m'en dise un peu plus...

« J'ai décidé de faire quelque chose qui me plait vraiment... » Il se passa plusieurs choses en même temps : une joie intense me traversa tout entier, j'eus envie de la serrer fort dans mes bras, mais le type nous tendit nous smoothie alors je dus attraper le mien mais comme j'étais trop excité je secouais le verre un peu trop fort et fis déborder quelques petits gouttes qui nous arrosèrent tous les deux. « Oups !! MAIS C'EST TROP BIEN BOUBOU !!! » Des gens se retournèrent pour nous regarder mais je n'en avais rien à faire, évidemment, suspendu aux paroles de ma soeur. « J'ai un entretien demain avec le département des costumes de l'Opéra... » C'était vraiment une trop bonne nouvelle, et je la serrai dans mes bras, tout excité. « C'est génial ! Je suis trop content, et trop fier de toi ! » Je me doutais bien que ma soeur n'était la plus épanouie dans son cursus, ça se voyait, même si elle ne se plaignait jamais. Mais pour être passé par là, avoir choisi la mauvaise voie et trouvé ensuite la bonne, je ne pouvais que l'encourager dans cette direction. « Tu vas voir, ça va te changer la vie » commençai-je, exalté pour elle par cette nouvelle. « Si c'est la couture qui te fait le plus kiffer alors fonce, tu vas être géniale là-dedans, tu mérites ça Boubou » Non vraiment, rien ne me pouvait faire plus plaisir. Ma soeur s'était suffisamment sacrifiée pour tout et tout le monde, et j'étais fier qu'elle pense enfin à elle. « Et si jamais tu stresses de l'annoncer à Papa, franchement, t'inquiète pas. Il sait qu'une mauvaise orientation ne rend pas heureux. » Il l'avait bien vu avec moi, de manière extrême certes, mais quand même. « Si tu veux on lui dira ensemble ? » Je ne savais pas trop ce qu'elle avait en tête vu qu'elle avait été hésitante au moment de me l'annoncer, alors si elle avait besoin de soutien, j'étais évidemment là pour elle. « Raconte moi tout, c'est quoi ton plan ? » 

Les sourcils froncés elle regardait son frère qui semblait dans le même état d'incompréhension qu'elle. "J'ai l'impression qu'on ne se comprend pas" Voyant que l'incompréhension était mutuelle Annabel secoua la tête. "Non vraiment pas. Potiron a vraiment détruit les fleurs de maman?" L'information venait de monter et elle ne put s'empêcher de soupirer en comprenant que son frère avait du, tout comme elle, garder un secret qu'il pensait allait l'atteindre. De son côté il était inutile de garder le secret, de toute façon ce n'était quelque chose qu'elle pourrait cacher à sa famille et encore moins à Alex. Anna aurait été de mauvaise foi si elle s'était entêtée dans ses études elle qui avait toujours tenu comme discours à ses frères qu'il était essentiel de faire quelque chose qui leur plaisait. Ce n'était pas que le droit ne lui plaisait pas, dans un sens elle adorait ses études mais elle sentait qu'elle ne s'y épanouissait pas. Annabel avait eu beau s'accrocher elle avait bien du admettre que passer des heures devant des bouquins à apprendre par coeur des articles de loi ne lui convenait plus. À chaque heure passée à étudier son esprit divaguait irrémédiablement vers Betsy et vers les divers idées de patrons qui naissaient dans sa tête. Sans plus attendre elle se lança et annonça sa décision à Alex, attendant nerveusement sa réaction qui ne se fit pas attendre. "Oups !! MAIS C'EST TROP BIEN BOUBOU !!!" Elle ne put retenir un sourire face à son excitation et lui annonça qu'elle avait obtenu un entretien à l'Opéra.  "C'est génial ! Je suis trop content, et trop fier de toi !" Faisant attention à ne pas renverser leurs smoothies, Annabel s'avança pour serrer son frère dans bras. "Merci Boubi"

"Tu vas voir, ça va te changer la vie. Si c'est la couture qui te fait le plus kiffer alors fonce, tu vas être géniale là-dedans, tu mérites ça Boubou" Relâchant son étreinte Annabel prit une gorgée de son smoothie avant de sourire à son frère. "J'espère. J'avoue que je stresse un peu, je n'ai aucune vrai formation mais j'ai envie d'essayer!" La couture avait beau être une passion elle n'avait jamais réellement suivi de cours, se contentant de tutoriels en lignes pour les basiques et de son instinct pour le reste. C'était le seul point qui la faisait douter de sa réussite. Ça et son père. Il avait exprimé tellement de fierté quand elle lui avait annoncé vouloir se lancer dans le droit qu'elle ne savait pas comment lui annoncer qu'elle abandonnait. Heureusement Annabel possédait un Alex qui lui, sans même savoir, trouva directement les mots pour la rassurer. "Et si jamais tu stresses de l'annoncer à Papa, franchement, t'inquiète pas. Il sait qu'une mauvaise orientation ne rend pas heureux. Si tu veux on lui dira ensemble ?" Immédiatement, elle hocha vivement la tête les yeux brillants d'émotions. "Ça m'aiderait que tu sois là quand je lui dirai oui "

La première étape était passée avec brio. Ne restait plus qu'à lui annoncer le reste et ça, Annabel ne savait pas comment le lui présenter. La question de son frère arriva à point nommé, lui donnant l'occasion de rebondir sur son plan."Raconte moi tout, c'est quoi ton plan ? ". Elle attrapa le bras d'Alex, l'entraînant parmi les différents stands et pointant quelques articles du doigts avant de prendre la parole. " À vrai dire je voulais t'en parler avant de dire quoi que ce soit à papa.." Et voilà, le moment était venu de tout lui avouer. "Ça fait un moment que j'y pense et je crois que c'est le bon moment.. " Continuant d'avancer Annabel se força à fixer un point au loin pour éviter de croiser les yeux de son frère. " Sache que ça ne changera rien et que tu seras la bienvenue n'importe quand évidemment..." Soudainement elle s'arrêta et après une avoir pris une inspiration lâcha sa bombe. "Je vais prendre un appartement."

« Non vraiment pas. Potiron a vraiment détruit les fleurs de maman? » ... Bon. Le quiproquo passé j'avais espéré m'en tirer sans trop de dégâts, mais voilà que ma soeur revenait sur l'information en question. Je fis un genre de grimace, souriant en même temps d'un air coupable. « Juste les jaunes » précisai-je, en espérant que ça passe un peu mieux. Fort heureusement le chien n'avait pas défoncé toute la plate-bande, mais les fleurs oranges en question avaient peu de chance de survie à l'heure actuelle. « Désolé » répétai-je, j'en faisais des caisses mais j'avais peur que ces fleurs représentent un peu trop de choses pour Annabel. Parfois, elle était fragile à des moments où on ne l'entendait pas, et la dernière des choses dont j'avais envie était de voir ses yeux se voiler parce qu'elle pensait à Maman — la dernière chose dont j'avais envie était de lui faire du mal.

Mais quand ma soeur m'avoua ce qu'elle avait en tête, tout le reste passa au second plan. Non seulement j'étais surpris mais surtout j'étais fier — fier d'elle, fier qu'elle fasse ses propres choix, qu'elle se mette enfin en avant, fier qu'elle poursuive sa passion, fier qu'elle prenne sa vie en main. Je la serrai fort dans mes bras et quand je me reculai un peu, l'émotion sur ses traits me serra fort le coeur et m'humidifia les yeux. J'étais sûr qu'elle trouverait son bonheur, même si elle allait sans doute un peu galérer, comme moi dans l'art ; on ne choisissait pas des milieux faciles mais au moins on était passionnés, et c'était le plus important. Au final, il ne restait plus qu'à Scott de changer de direction et chacun de nous trois aura enfin réussi à passer au-dessus du drame qu'on avait traversé. Parce qu'il était question de ça : j'en étais persuadé, en tout cas si je m'arrêtai à mon propre cas. Mais je savais aussi pertinemment qu'Anna s'était mise de côté tant d'années pour nous, et qu'elle pouvait enfin aujourd'hui souffler, penser à elle.

« Ça m'aiderait que tu sois là quand je lui dirai oui » Je hochai la tête de nouveau. Évidemment. Ça n'avait rien de simple, mais je n'avais pas de crainte. « Il va être trop fier de toi » l'assurai-je. J'étais si heureux en cet instant, j'avais l'impression de flotter. On se mit en marche en sirotant nos smoothies, en regardant un peu les stands, en discutant de tout et de rien et à la fois j'avais hâte d'en savoir plus, hâte de savoir tout ce qui se tramait dans la tête de ma soeur, tout en profitant à fond de cette journée parfaite.

« À vrai dire je voulais t'en parler avant de dire quoi que ce soit à papa... » Ah ! Un autre projet, une autre révélation ? Cette fois je n'étais pas surpris ou je n'avais pas peur : j'avais juste trop hâte de savoir. « Ça fait un moment que j'y pense et je crois que c'est le bon moment... Sache que ça ne changera rien et que tu seras le bienvenu n'importe quand évidemment... » ... Attendez. Quoi ? « Je vais prendre un appartement. »

J'étais en train de boire une gorgée de smoothie et elle se coinça dans ma bouche tandis qu'une boule monta directement dans ma gorge et me serra le cou. Il me fallut quelques secondes — qui me parurent des heures — pour réussir à avaler, après quoi je forçai mon cerveau à s'ancrer dans la réalité, à rester dans le moment présent. Tout d'un coup je me demandai ce que foutais là — quelle idée de me balancer ça là, la colère me parcourut le corps comme une onde de choc. J'avais relevé mes lunettes de soleil parce qu'on était à l'ombre et que j'avais regardé le détail d'un objet sur un stand ; je lançai un regard à ma soeur qui voulait purement et simplement dire comment tu peux me faire ça avant de rabattre mes lunettes sur mes yeux. On savait tous pertinemment que j'allais me mettre à chialer d'un moment à l'autre, alors si je pouvais m'épargner la honte en plus, c'était au moins ça.

Comment elle pouvait me faire ça ? Partir ? Me laisser ? Nous laisser ? Comment elle pouvait imaginer qu'on ne se croise pas tous les matins, qu'on ne se retrouve pas le soir après nos journées, qu'on passe juste des moments ensemble à rien faire, sans se concerter ? La maison était assez grande pour qu'on ne se gêne pas... Je ne l'emmerdais pas des masses pourtant, si ?! On était grands, on avait nos vies, on n'en était plus au stade où on venait l'embêter pour jouer avec elle... Mais on était grands, justement. C'était normal de partir, à un moment ou à un autre. J'inspirai un bon coup, afin de me préparer au déferlement de pensées qui allait me tomber dessus. Annabel faisait là quelque chose de logique, c'était juste moi qui étais terrifié, terrifié de la perdre, de les perdre, de me retrouver seule. Terrifié de me dire qu'à mon tour, il serait bientôt temps de prendre mon envol. Oui mais — est-ce que j'en étais capable ?

« D'a... D'accord. » Ma vue s'était troublée : après la colère venait la peine et des larmes envahissaient mes yeux. Réunissant toutes mes forces, j'essayai de les retenir pour le moment. « Je m'y attendais pas. Je savais pas que tu voulais... Partir. » Et le dire à voix haute me donnait envie de me rouler en boule sous ma couette. « Comment je vais faire sans toi ? » Je m'en voulus d'avoir dit ça tout haut, parce que j'allais la faire culpabiliser, ça n'était pas juste pour elle — mais ça me tordait le coeur. « Tu vas chercher dans quel coin ? » continuai-je, essayant de me reprendre. Mais c'était trop tard : les larmes avaient débordé et coulaient sur mes joues, plus du tout cachées par mes lunettes de soleil.

"Juste les jaunes .." Annabel avait beau savoir qu'il existait des choses bien plus grave que la destruction d'une plate bande de fleurs elle dut se faire violence pour ne pas se mettre à pleurer. Ces fleurs étaient les fleurs de sa mère, tous les ans Anna passait des heures à s'en occuper pour se sentir proche d'elle et Alex lui disait que Potiron avait ruiné ses efforts? La Lake renifla et secoua légèrement la tête avant de se forcer à sourire. "Ce n'est pas grave.. Elles repousseront." De toute façon elle avait un sujet bien plus important à aborder et se lamenter sur les fleurs de sa mère ne servirait à rien d'autre qu'à repousser le moment où elle devrait tout annoncer à Alex.

Sa réaction la surprit. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il pique une crise mais elle ne s'attendait pas non plus à de telles exclamations de joie. Forte de ce premier succès, Annabel se décida à lâcher sa deuxième bombe : elle allait déménager. Immédiatement toute trace de joie disparu du visage de son frère qui la regardait sans avoir l'air de comprendre ce qu'elle venait de lui dire. Annabel avança la main pour la poser sur le bras d'Alex mais ce dernier bougea avant qu'elle n'ait pu accomplir son geste. Elle s'était préparé à ce qu'il prenne la nouvelle plutôt mal mais rien n'aurait pu la préparer au regard qu'il lui lança. Elle se revit des années plus tôt quand leur mère venait de mourir alors qu'elle se préparait pour partir en cours et qu'Alex l'avait supplié de sécher pour rester à la maison. Autrefois elle n'avait pu dire non et cette fois-ci elle du se faire violence pour ne pas revenir sur ses paroles. La voix de sa psy se fit entendre dans sa tête: Elle ne pouvait pas continuer à vivre pour les autres. Annabel détacha son regard de son frère et se décala légèrement pour lui laisser de l'espace.   

"D'a... D'accord. " La voix de son frère lui fit relever la tête. "Je m'y attendais pas. Je savais pas que tu voulais... Partir.  " La déchirure qu'elle entendit dans la voix de son frère la fit s'avancer vers lui pour le prendre dans ses bras. " J'ai bientôt trente ans, tu ne crois pas que c'est le moment? " Nombre de ses amis avaient déjà commencé à vivre leur vie loin du cocon familiale. Elle ne comptait plus le nombre d'invitations de mariage qu'elle avait reçu les deux dernières années et à côté il lui semblait qu'elle faisait du sur place. " J'ai besoin d'avancer.." À défaut d'un époux elle pouvait bien prendre un appart. " Comment je vais faire sans toi ?" Sans plus attendre Annabel saisit le visage de son frère entre ses mains  "hé, hé ! Regarde moi!" Doucement, elle le força à la regarder dans les yeux. "Boubi.. Ça ne change strictement rien tu m'entends?" Un léger sourire se dessina sur son visage tandis qu'elle essuyait une larme qui se dessinait sous l'oeil de son frère. "Tu viendras à la maison quand tu veux, tu pourras même y dormir!" Elle replaça une mèche de cheveux de son frère derrière son oreille et lui sourit doucement "Tu vas chercher dans quel coin ?" Annabel lâcha le visage de son frère et recula d'un pas pour le laisser respirer. " J'aimerais bien être pas trop loin du centre mais j'irai surtout là où mon dossier sera accepté."

L'ascenseur émotionnel ressenti était tel que je ne savais même plus où donner de la tête. Les rires et les cris des gens autour de nous n'existaient plus trop, j'avais comme du cotton dans les oreilles et ce qui me prenait le plus d'énergie et d'espace mental était de lutter de toutes mes forces pour ne pas 1/ exploser en sanglots comme un gros bébé et m'enfuir ou 2/ hurler sur ma soeur qu'elle m'abandonnait comme une vulgaire chaussette et que c'était odieux de sa part de nous considérer ainsi, nous, sa famille. Sauf qu'il m'apparaissait très clairement que ma réaction était complètement folle et démesurée et du coup j'étais coincé entre mon chagrin et ma folie et ça me frustrait encore plus.

Si j'avais reculé lorsqu'elle avait amorcé le premier geste, cette fois-ci je n'en fis rien et la laissai se dresser sur la pointe des pieds et me serrer dans ses bras. Je posai ma tête dans le creux de son épaule en sentant des larmes se mettre à couler, évidemment. Il me semblait que je ne m'étais jamais senti aussi misérable qu'en cet instant. « J'ai bientôt trente ans, tu ne crois pas que c'est le moment? » Alors oui, évidemment, c'était sans doute le moment dans les faits, d'ailleurs c'était le moment pour nous 3 et Scott ne tarderait pas à suivre j'en étais certain, il était déjà de moins en moins là. Moi aussi, par la force des choses. C'était le moment selon les standards de la société mais quelque chose à l'intérieur de moi refusait farouchement cette idée sans que je sache exactement pourquoi, et me le faisait vivre comme l'abandon le pire de mon existence après la mort de Maman. « J'ai besoin d'avancer... » Nouveau coup de poignard : ça, ça voulait dire qu'on la tirait en arrière ? Que je l'empêchais de vivre ? Je retins difficilement un sanglot qui me fit trembler un peu alors je me reculai d'elle en reniflant. Ma soeur étant ma soeur, elle repartit à l'attaque et mit ses mains autour de mon visage (comme le faisait Maman quand elle sentait que j'allais mal mais que ne voulais pas en parler. Nouveau sanglot, du coup.) « hé, hé ! Regarde moi! Boubi.. Ça ne change strictement rien tu m'entends? » Plus la peine de faire semblant, je pleurai, alors autant l'assumer et soutenir son regard. « Ça change strictement tout » grognai-je, triste et en colère.

« Tu viendras à la maison quand tu veux, tu pourras même y dormir! » Mais je m'en foutais de ça, ce n'était pas le problème. Je me doutais bien qu'on ne serait pas sans se revoir, je n'étais pas idiot. Et j'allais sans doute squatter chez elle le plus souvent possible — mais ce n'était pas la même chose. Je haussai les épaules, toujours en colère mais les petits gestes tendres de ma soeur avaient évidemment le don de faire fondre ma carapace en deux temps trois mouvements. « J'aimerais bien être pas trop loin du centre mais j'irai surtout là où mon dossier sera accepté. » « Ça me brise le coeur. Je sais que c'est con mais ça me brise le coeur » lâchai-je après plusieurs secondes de silence, les yeux baissés. J'avais honte de mon aveu mais quelque chose me poussait à le sortir de moi, pour comprendre, pour être compris. « Je sais qu'on se verra presque toujours autant mais c'est un énorme changement, tout sera différent et ça me terrifie » continuai-je, passant une main sur mon visage pour l'essuyer. J'essayai d'avoir les idées un peu plus claires, mais ce n'était pas évident. Mon coeur battait trop fort dans ma poitrine et j'avais l'impression que la tristesse me faisait mal physiquement. « Dans ces moments-là Maman me manque encore plus, parce qu'elle aurait compris avant moi, elle aurait trouvé les mots pour me rassurer et pour te rassurer toi aussi » lâchai-je plus doucement. Je me doutais bien de la panique en ce moment dans la tête de ma grande soeur devant son Boubi qui perdait les pédales. Je pris la main de ma soeur et entremêlai mes doigts aux siens. « Tu as raison, c'est normal que tu partes et je savais que ça finirait par arriver mais je crois que je préférais rester dans mon déni parce que c'est plus simple » confiai-je avec un sourire coupable. « Ce qui me fait peur dans ton départ de la maison c'est pas de te perdre mais c'est la peur de perdre encore une fois notre famille. On n'a déjà plus Maman et on a eu tellement de mal ensuite, qu'est-ce qui va se passer quand on sera tous partis ? » Je me frottai la tête, sentant que ce n'était pas très clair. Inspirant un bon coup, je repris : « J'ai peur aussi de la suite, ton départ ça veut dire que moi aussi ça va venir, et c'est normal. Mais j'ai peur d'être seul je crois, ou peur de refaire des conneries parce que là c'est facile d'être materné comme un enfant de 4 ans par Papa à la maison. » Il fallait dire que mon père était devenu encore plus père poule depuis mon overdose, mais je me laissai faire moi aussi. Il fallait dire également que si le risque de rechute n'était pas le risque premier c'était quelque chose que j'avais toujours en tête et qui me pouvait me titiller quand je me sentais fragile, comme maintenant. « Je suis désolé de réagir comme ça je sais que c'est nul et en plus je suis content pour toi et trop admiratif de tes nouveaux projets et de ton courage et je suis si fier de toi Boubi, t'as pas idée » repris-je en la regardant, les yeux humides de nouveau. « Ça va passer t'inquiète pas. Et de toute façon je squatterai chez toi et on fera des soirées pyjamas tranquilles tous les deux et ce sera trop cool » ajoutai-je pour finir sur une touche plus légère.

Il n'y avait pas de manière parfaite d'annoncer son départ à Alex, elle le savait. Elle connaissait son frère par coeur et dans les scénarios qu'elle avait avait déroulé dans son esprit Alex finissait en larmes. Ce n'était pas sa faute, depuis tout petit il était victime de ses émotions et Annabel savait pertinemment qu'elle n'aurait pu atténuer le flot d'émotion qu'il ressentait à cet instant et ce malgré toute l'envie qu'elle ressentait d'anéantir toute peine chez son frère. "Ça change strictement tout" Face à la détresse de son frère, Annabel secoua frénétiquement la tête. Rien n'allait changer et en même temps elle n'avait aucun moyen de lui promettre réellement mais elle essaya tout de même en lui promettant des soirées ensembles seule chose qu'elle pouvait faire. Il lui sembla qu'Alex se calmait légèrement "Ça me brise le coeur. Je sais que c'est con mais ça me brise le coeur. Je sais qu'on se verra presque toujours autant mais c'est un énorme changement, tout sera différent et ça me terrifie". Annabel aurait aimé connaître un mot magique pour soulager son frère mais sa propre inutilité lui brisait le coeur. " Ça ira.. Ça me terrifie aussi mais je me dis que le changement n'est pas forcément mauvais.." Rien n'était simple et s'imaginer seule dans un appartement sans ses deux frères à quelques portes d'elle ne la réjouissait pas. Elle éprouvait une véritable peur à l'idée de ne plus être à côté d'eux pour les aider et les guider mais Anna devait bien les laisser se débrouiller. Elle ne pouvait pas éternellement rester chez son père à s'occuper de personnes prêtent à prendre leur envol.

"Dans ces moments-là Maman me manque encore plus, parce qu'elle aurait compris avant moi, elle aurait trouvé les mots pour me rassurer et pour te rassurer toi aussi." Rien n'aurait pu préparer Annabel à la douleur qu'elle ressenti à cet instant. Elle essaya de la minimiser pour ne pas inquiéter Alex mais par ses paroles, son frère venait de rouvrir la plaie béante qu'elle s'efforçait de faire cicatriser depuis des années. Après le décès de leur mère Anna avait mit sa propre peine de côté sans s'occuper de gérer son deuil correctement. À la place elle s'était efforcée de minimiser la peine des personnes de son entourage et elle avait toujours espérée être assez. Preuve était qu'elle ne l'était pas. Elle ne pourrait jamais remplacer leur mère aux yeux d'Alex, elle s'en était toujours doutée mais l'entendre dire de vive voix avait le même effet que de se prendre un pieux en plein coeur. À côté de ça, le fait que sa mère lui manquait cruellement ne l'aidait pas. Elle s'efforça de calmer les larmes qui menaçaient de monter tandis que son frère serrait sa main. "Tu as raison, c'est normal que tu partes et je savais que ça finirait par arriver mais je crois que je préférais rester dans mon déni parce que c'est plus simple." Malgré tous ses efforts, une larme s'échappa, résultat du soulagement que les paroles de son frère lui inspirait. "Ce qui me fait peur dans ton départ de la maison c'est pas de te perdre mais c'est la peur de perdre encore une fois notre famille. On n'a déjà plus Maman et on a eu tellement de mal ensuite, qu'est-ce qui va se passer quand on sera tous partis ? " Annabel ne pu s'empêcher de presser la main de son frère. "Boubi....". Elle connaissait son frère par coeur, elle connaissait son émotivité et ses difficultés à gérer l'inconnu mais jamais elle n'aurait pu penser que sa peur était si profonde. "J'ai peur aussi de la suite, ton départ ça veut dire que moi aussi ça va venir, et c'est normal. Mais j'ai peur d'être seul je crois, ou peur de refaire des conneries parce que là c'est facile d'être materné comme un enfant de 4 ans par Papa à la maison. ". D'une pression de la main elle entraîna son frère jusqu'à un banc libre un peu à l'écart des stands et le fit s'asseoir. "Je suis désolé de réagir comme ça je sais que c'est nul et en plus je suis content pour toi et trop admiratif de tes nouveaux projets et de ton courage et je suis si fier de toi Boubi, t'as pas idée. Ça va passer t'inquiète pas. Et de toute façon je squatterai chez toi et on fera des soirées pyjamas tranquilles tous les deux et ce sera trop cool. " Annabel hocha doucement la tête avant de prendre une inspiration. " Boubi, j'ai confiance en toi. Tu es une des personnes les plus fortes que je connaisse et j'ai confiance. Je sais que tu ne vas pas refaire de conneries. Et même si tu étais tenté, tu sais que tu peux m'appeler. À toute heure de la journée ou de la nuit. Je serai là." Les yeux d'Annabel balayèrent la foule avant de se reposer sur Alex. " Quand à Papa, je lui ai déjà dit de te lâcher la grappe. Tu es clairement capable de te gérer seul, s'il te gave tu n'auras cas venir chez moi... Ou chez toi si tu penses qu'il est temps pour toi aussi de partir." Un léger sourire vint s'installer sur ses lèvres. "Chacun son rythme. Regarde, il m'a fallut presque trente ans avant de quitter papa. Tu le feras quand tu te sentiras prêt et puis tu n'as pas à t'installer seul tout de suite. Je ne te propose pas de faire une collocation avec moi mais pourquoi pas Scott ? Ou quelqu'un d'autre!" Du moment que ce n'est pas Rory. Elle s'arrêta avant de prononcer le reste de sa phrase, certaine qu'Alex n'apprécierait pas qu'elle mentionne Rory de manière négative. "Et pour ce qui est de se perdre, ça n'arrivera pas tout simplement parce que je vais vous coller aux basques. Ce n'est pas parce qu'on aura plus la même adresse que je vais oublier de vous rappeler de prendre des vitamines tous les hivers. Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement! "

Tout cela me faisait l'effet d'un tsunami : le monde s'écroulait, tout ce qui était sûr et ne bougeait plus à présent autour de moi vacillait dangereusement, mes repères se floutaient et mes bonnes vieilles angoisses revenaient à la charge. Je savais qu'avec mon côté drama j'en faisais des tonnes sur le moment et que dans quelques heures ou quelques jours la raison reprendrait le contrôle et mes nerfs se calmeraient un peu, mais en cet instant c'était la fin du monde et la seule chose que je désirais au plus profond était de me rouler en boule dans un coin — ou bien de m'accrocher à ma soeur en chouinant jusqu'à ce qu'elle me promette qu'elle ne partirait pas.

Étant donné que j'étais presque un adulte à présent, je ne pouvais plus rien faire de tout ça. Alors même si techniquement je n'étais pas capable de ravaler mes larmes je ne pouvais que serrer les dents et essayer de ne pas trop perdre pieds. « Ça ira.. Ça me terrifie aussi mais je me dis que le changement n'est pas forcément mauvais... » Non mais voilà : comment voulez-vous que je fasse si même Annabel elle-même m'avouait qu'elle avait peur ?! Ça n'arrangeait rien à la mienne alors je ne pus répondre qu'un couinement plein de larmes, me serrant un peu plus contre elle. Tant pis pour la dignité.

Je réussis quand même à dire ce que je ressentais, ce qui me passait par la tête ; garder tout cela pour moi aurait été mille fois pire, j'en avais trop fait les frais auparavant. Il fallait que ça sorte, il fallait que je puisse me confier, il fallait que je puisse aussi être rassuré. « Boubi, j'ai confiance en toi. Tu es une des personnes les plus fortes que je connaisse et j'ai confiance. Je sais que tu ne vas pas refaire de conneries. Et même si tu étais tenté, tu sais que tu peux m'appeler. À toute heure de la journée ou de la nuit. Je serai là. » Je ne pus m'empêcher de lâcher un petit rire un peu triste. « Les plus fortes que tu connaisses ? Tu dis n'importe quoi » Moi, fort ? Oui j'avais eu de la ressource pour rebondir, mais j'avais cédé un nombre incalculable de fois, je n'avais pas tenu le coup, j'avais fait n'importe quoi, alors je ne voyais pas en quoi j'étais fort, encore moins si je me comparais à ma soeur, ou à Scott. « Mais je sais que je pourrais toujours t'appeler ou venir te voir... Je sais. C'est juste une question de... Symbole. » soufflai-je doucement. Nous n'étions plus des enfants, nous n'avions plus l'insouciance d'avant et la possibilité de ne penser à rien d'autre qu'à faire une cabane dans l'une de nos chambres ou un cache-cache dans le jardin. « Quand à Papa, je lui ai déjà dit de te lâcher la grappe. Tu es clairement capable de te gérer seul, s'il te gave tu n'auras cas venir chez moi... Ou chez toi si tu penses qu'il est temps pour toi aussi de partir. » Je ne pus m'empêcher de sourire quand même. Pauvre Papa : tout le monde lui disait de me lâcher et moi le premier mais au fond... J'étais bien content, la grande majorité du temps, qu'il me couve comme une poule. « Chacun son rythme. Regarde, il m'a fallut presque trente ans avant de quitter papa. Tu le feras quand tu te sentiras prêt et puis tu n'as pas à t'installer seul tout de suite. Je ne te propose pas de faire une collocation avec moi mais pourquoi pas Scott ? Ou quelqu'un d'autre! » Je haussai les épaules. « Scott ? Il va trop me soûler. Déjà que partager une salle de bains avec lui c'est chiant alors... » Mais je souriais en disant cela, parce que mon frère était un peu trop maniaque et je prenais un malin plaisir à l'embêter là-dessus, alors oui parfois Scott m'agaçait mais en vrai on s'entendait bien. Cela dit, est-ce que j'avais envie pour autant de m'installer avec lui ? Je ne savais pas trop, et je n'étais surtout pas certain de l'inverse. « Mais je crois que Scott aimerait prendre son envole de son côté » Il en avait déjà parlé, de toute façon. En vérité, si je me voyais habiter avec quelqu'un, c'était avec Maia. « On verra » conclus-je en haussant faiblement les épaules. Surtout si d'ici là j'avais pété un câble de nouveau... Bref. Inutile d'alerter ma soeur sur ce point. Une pensée désagréable me traversa l'esprit : et si je rechutais au moment où elle partait ? Ce serait la pire des punitions pour elle. Et la pire des choses que je pouvais lui faire.

Je la suivis sans rien dire et me laissai tomber sur le banc comme si je portais toute la misère du monde sur mes épaules. « Et pour ce qui est de se perdre, ça n'arrivera pas tout simplement parce que je vais vous coller aux basques. Ce n'est pas parce qu'on aura plus la même adresse que je vais oublier de vous rappeler de prendre des vitamines tous les hivers. Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement! » Je me forçai à sourire, mais le coeur n'y était pas. Laissant échapper un soupir, je regardai mes mains pendant quelques minutes sans rien dire, perdu dans mes pensées. Il fallait bien, pourtant, que j'enchaîne sur quelques choses.

« Tu as déjà regardé les annonces ? Tu sais dans quel coin tu aimerais t'installer ? » me forçai-je à demander. Mais je savais que mon trouble était visible. Finalement, je relevai les yeux vers ma soeur. Je savais qu'elle était inquiète, et ça me brisa le coeur. « Je suis désolé de réagir comme ça, parce que c'est un projet génial pour toi et que tu mérites de penser à toi » Au moins j'avais arrêté de pleurer, et j'étais bien décidé à ne pas céder de nouveau. « Ça ne serait pas moi si je ne réagissais pas avec un peu drama » ajoutai-je en me forçant à sourire une nouvelle fois. Fake it until you make it, après tout. « Et tu sais on critique Papa mais pour le coup je le laisse faire, ça m'arrange bien qu'il s'occupe de moi comme si j'étais un gamin parfois, c'est rassurant. » Le pauvre, il avait eu son lot de reproches, je ne pouvais pas non plus le laisser tout porter. « Ça m'enlève un peu de pression et en ce moment j'en ai pas mal alors ça me fait du bien de savoir que quoi qu'il arrive il va répondre présent si je lève le petit doigt, je sais que c'est égoïste au fond, mais ça m'a beaucoup aidé à aller mieux ces derniers mois. »

Il lui semblait que chacun des mots employé pour calmer Alex ne faisait que renforcer sa panique. Naturellement, elle le serra contre elle, comme le faisait leur mère quand elle était petite. Annabel avait souvent eut l'impression que leur mère essayait d'étouffer leur tristesse à défaut de leur proposer une solution ce qui avait eut le don de l'énerver à l'époque mais elle comprenait maintenant pourquoi. Il existait des choses face auquel il n'y avait pas de bonne solution. "Les plus fortes que tu connaisses ? Tu dis n'importe quoi " Anna secoua la tête face à la réaction de son frère. " Évidemment que non. Voyons Alex, est-ce que tu sais combien de personnes n'ont pas la force de s'en sortir ? Combien n'ont même pas la force de se faire aider?" Son frère avait beau se voir de cette manière elle était persuadée du contraire. Il n'y avait qu'à voir Rory pour se persuader qu'Alex était beaucoup plus fort qu'il ne le pensait.  "Mais je sais que je pourrais toujours t'appeler ou venir te voir... Je sais. C'est juste une question de... Symbole. " Annabel observa son frère quelques instants et hocha la tête pensivement. Elle comprenant parfaitement ce qu'Alex essayait de lui dire, elle même y avait réfléchi pendant des semaines mais partir était la meilleure chose possible.

Doucement, elle se détacha de son frère pour l'emmener vers un banc un peu plus loin. Là, elle s'employa à le rassurer encore une fois, détaillant chaque point pouvant leur poser problème, de leur père en passant par l'éloignement. Dans son discours elle finit par arriver à la conclusion qu'Alex pourrait aussi déménager et pourquoi pas s'installer avec Scott ? "Scott ? Il va trop me soûler. Déjà que partager une salle de bains avec lui c'est chiant alors...  " Le sourire qui naquit sur le visage de son frère la fit sourire en retour. Elle ne put s'empêcher de rire en pensant à ses deux frères forcés de partager un espace commun.  "Mais je crois que Scott aimerait prendre son envole de son côté. On verra." Annabel haussa les épaules. "C'est une idée en vrac, prends le temps d'y réfléchir mais rien ne presse. " Elle savait mieux que quiconque qu'elle ne pouvait forcer Alex à rien. Son frère prendrait son envol quand il le déciderait. Cela ne l'empêcha pas de le rassurer une nouvelle fois en l'assurant que son départ de la maison ne voulait pas dire qu'elle s'éloignerait d'eux. Au contraire, elle était même persuadée que partir la rapprocherait d'eux car sa nature la pousserait à savoir comment ses frères allaient à n'importe quel moment. Elle remarqua bien qu'Alex se forçait à sourire, après tout elle le connaissait par coeur mais elle ne releva pas, se contentant de lui sourire. "Tu as déjà regardé les annonces ? Tu sais dans quel coin tu aimerais t'installer ? ". Le regard d'Annabel se posa sur la foule pensivement. " J'aimerai ne pas être loin du centre pour rester proche de la maison et du travail .. J'ai vu quelques annonces mais je n'ai encore rien visité. Tu voudrais peut-être venir avec moi ? J'aurais bien besoin d'un avis supplémentaire." L'idée venait tout juste de terminer de se développer dans son esprit et jamais elle n'aurait commencer à l'explorer sans en avoir d'abord parlé à ses frères.


"Je suis désolé de réagir comme ça, parce que c'est un projet génial pour toi et que tu mérites de penser à toi. Ça ne serait pas moi si je ne réagissais pas avec un peu drama " Annabel rigola doucement et passa un bras autour des épaules de son frère. "Je ne t'en veux pas ne t'en fait pas." Comment aurait-elle pu en vouloir à son boubi ? " Je savais que ce ne serait pas une information facile " Elle s'était d'ailleurs bien prit la tête à ce sujet, ne sachant pas comment l'annoncer à Alex. "Et tu sais on critique Papa mais pour le coup je le laisse faire, ça m'arrange bien qu'il s'occupe de moi comme si j'étais un gamin parfois, c'est rassurant. Ça m'enlève un peu de pression et en ce moment j'en ai pas mal alors ça me fait du bien de savoir que quoi qu'il arrive il va répondre présent si je lève le petit doigt, je sais que c'est égoïste au fond, mais ça m'a beaucoup aidé à aller mieux ces derniers mois." Face à l'aveux de son frère, la Lake pouffa. " Oh tu sais qu'il adore se sentir utile " Sentant que l'humeur d'Alex commençait à s'améliorer, Annabel se leva. " Je t'offre une crêpe ?"

C'était loin d'être simple de dire tout ce que j'avais sur le coeur sans me laisser emporter par la tornade de mes émotions et sans empiéter sur celles de ma soeur, sur sa vie, ses décisions. J'étais partagé entre le fait d'être heureux pour elle et mon soutien pour ses projets futurs et celui d'être désespérément paniqué à l'idée d'évoluer sans elle à mes côtés, parce que le petit gamin en moi était toujours là et j'avais du mal à m'en défaire. Heureusement ma soeur restait ma soeur : elle savait lire entre les lignes de tout ce qui n'allait pas. « Évidemment que non. Voyons Alex, est-ce que tu sais combien de personnes n'ont pas la force de s'en sortir ? Combien n'ont même pas la force de se faire aider? » Je haussai les épaules, toujours avec une terrible envie de fondre en larmes, même si son câlin m'avait fait du bien. Je savais pertinemment à qui elle pensait en disant ça et décidai de l'ignorer parfaitement. Rory n'était pas du tout un sujet que je voulais aborder avec Annabel, et encore moins en cet instant. « Mouais. C'est aussi que j'ai la chance d'être bien entouré. » Le mérite ne m'en revenait pas complètement, enfin, je savais que j'avais fait une bonne partie du boulot, mais je savais aussi que ma famille et mes amis n'étaient pas pour rien dans le fait que j'allais mieux. Est-ce que c'était vraiment ça dont manquait Rory ? Je n'en savais trop rien en vérité. Mais alors, qu'est-ce qui lui manquait ?

« C'est une idée en vrac, prends le temps d'y réfléchir mais rien ne presse. » Je pinçai les lèvres. Une chose après l'autre. Déjà, il fallait que je digère le départ de ma grande soeur. Ensuite viendrait mon tour, sûrement, mais il ne fallait pas trop m'en demander non plus. « J'aimerai ne pas être loin du centre pour rester proche de la maison et du travail .. J'ai vu quelques annonces mais je n'ai encore rien visité. Tu voudrais peut-être venir avec moi ? J'aurais bien besoin d'un avis supplémentaire. » Cette question me fit chaud au coeur et mon visage s'illumina d'un grand sourire. « Oh oui !!! » Rien ne pouvait me faire plus plaisir qu'elle m'inclue dans son projet : ça me rassurait déjà un peu. « Il faut trouver le truc qui te correspond parfaitement. » J'imaginais un endroit aussi cosy que joli. « Et puis c'est mieux d'être à deux comme ça on remarque plus de détails » ajoutai-je, ne cachant pas ma joie à cette idée.

Tout cela me fit évidemment me sentir coupable. Parce que je n'avais pas le droit de la retenir en arrière. On l'avait déjà trop fait à la mort de Maman ; elle méritait qu'on la soutienne, qu'importe le reste. « Je ne t'en veux pas ne t'en fait pas. » Je lui fis un bisou sur la joue. « Ça c'est parce que tu es trop gentille avec ton petit frère chéri » dis-je pour la taquiner, même si au fond c'était sûrement très vrai. « Je savais que ce ne serait pas une information facile. » Je fis oui de la tête. « Mais malgré tout je t'assure que je suis fier de toi. Très très fier. Et j'ai trop hâte que tu t'épanouisses dans un truc qui te plait parce que tu le mérites. » Ma soeur s'effaçait toujours pour les autres, mais à mes yeux elle était la personne la plus admirable de ce monde. « Oh tu sais qu'il adore se sentir utile. Je t'offre une crêpe ? » « Si tu me prends par les sentiments... » fis-je avec un sourire en coin. Pour du sucré, j'étais toujours partant. J'attrapais la main de ma soeur alors qu'on se mettait en marche en direction du vendeur de crêpes. En me disant que si Maman nous voyait elle serait heureuse de nous voir nous en sortir, et cette pensée me mit un peu plus de baume au coeur.