Like a second heart

« The past beats inside me like a second heart »
@Leonora Wilson

Ce soir je ne peux pas, j'ai rendez-vous au festival pour aller dîner avec une ancienne amie. Tu te souviens de Leonora ? Tess reposa son téléphone sur la table de la coiffeuse, reprenant le geste répétitif de sa brosse à cheveux. Lexie venait de lui proposer de passer dîner à la maison avec les enfants, mais on était le 20 juillet et elle avait un rendez-vous, pour la première fois depuis qu'elle était revenue à La Nouvelle-Orléans, avec quelqu'un d'autre que sa famille ou ses collègues. C'était étrange, et la jeune femme n'était pas certaine de savoir réellement le fond de sa pensée. En réalité, ce rendez-vous l'angoissait. Mais comment aurait-elle pu décliner l'offre de Leonora, après qu'elle se soient croisées par hasard en centre-ville l'autre jour ? Tess était trop polie pour cela. La nuit qui avait suivi, elle n'avait pas fermé l'oeil. Tout lui était revenu : les souvenirs, les soirées, les pique-nique sur la plage, les autres personnes de la bande, l'insouciance de leur âge, les bêtises aussi, cette sensation que tout était encore possible. C'était comme si une teen-série défilait sous ses yeux et lui rappelait combien elle avait vieilli depuis — combien elle n'était plus du tout la jeune fille de ces années passées. Nouveau soupir face à son miroir, las cette fois. Elle ne voulait pas jouer un rôle avec Leo mais elle n'avait pas le choix — elle se força à sourire à son reflet. Voilà. Lui peindre un portrait plutôt flatteur de sa vie, de son métier, de son mari, ce serait facile, elle n'avait qu'à s'en tenir aux faits. Mais plus le temps passait et plus ces mensonges lui coûtaient, renforçaient en elle l'impression d'être une jolie coquille désespérément vide que n'importe qui finirait par venir piétiner. Son teléphone sonna de nouveau : sa soeur avait répondu, s'enthousiasmait de ses retrouvailles avec son amie d'enfance, évidemment. Tess sourit au message mais ne répondit pas, elle terminait de se préparer. Au final, avec sa robe en lin, ses bijoux, sa coiffure et son maquillage léger, elle se fit l'effet d'être beaucoup trop habillée — les habitudes de la vie New-Yorkaise — ce qui acheva son sentiment de malaise, mais elle n'avait plus le temps de tout changer, alors elle prit sa voiture et roula vers le City Park.

Elle trouva facilement à se garder dans l'un des grands parkings prévus à cet effet. Le lieu était immense mais des panneaux indiquaient l'endroit pour le repas de ce soir, non loin des bassins, alors elle s'y dirigea et croisa l'un de ses collègues au passage, avec qui elle échangea quelques mots. C'était étrange et à la fois, c'était comme si rien n'avait changé, cette ville avait été longtemps la sienne, pouvait-elle la redevenir ?

Mais pour le moment, elle s'arrêta là où elles devaient se rejoindre, à côté d'une fontaine dans laquelle elles avaient caché des bouteilles d'alcool pour les refroidir un soir, un souvenir qui n'avait pas manqué de les faire sourire, et donc un lieu de rendez-vous qui leur avait paru plutôt amusant. Encore stressée, elle inspira un bon coup et entreprit de cacher définitivement toute trace de stress sur sa personne. Elle excellait là-dedans. Lorsqu'une tête blonde se détacha de la foule, Tess lui adressa un petit signe de la main accompagné d'un sourire. « Salut, Leo ! Comment ça va ? » Elles n'étaient plus des ados, et avec les années le petit écart d'âge qui les différenciaient s'était comme estompé. Pour autant, en la regardant dans les yeux, Tess avait l'impression que rien n'avait changé. Comment était-ce possible ? Pris de court par cette sensation, elle indiqua une table un peu plus loin. « Ça te dit de commencer par les boissons ? Le stand est à côté, j'ai soif, et il faut bien qu'on ait de quoi fêter ces retrouvailles, n'est-ce pas ? » Elle regarda autour d'elle, soudain un peu perdue, et retrouva le stand en question. « Ah, oui, c'est là-bas. Je n'ai plus trop mes repères par ici... » Un sourire vint accompagner son hésitation, et elle se mit en marche. La Nouvelle-Orléans n'avait plus rien de naturel pour elle, mais il fallait bien qu'elle s'y habitue de nouveau, de toute façon. À New York, sa vie était devenue une impasse.