escaping reality

« People are not addicted to alcohol or drugs
they are addicted to escaping reality »
@Siobhan O'Connell

Ça devenait ridicule, ce réflexe de toujours porter les yeux sur l'écran de son téléphone, à intervalles réguliers. Peu importe ce qu'elle faisait : des courses, du rangement, même quand elle essayait de lire, de se reposer, son regard était immanquablement attiré par son téléphone. En vain, évidemment. Parce que les rares messages qu'elle espérait ne venait jamais, ou presque. Son mari se contentait d'informations factuelles : ses heures de décollage, d'arrivée, de rendez-vous. Rien de plus. Et ce depuis des années — pourtant, Tess continuait à attendre et à espérer, tout en se rendant pertinemment compte combien c'était pathétique.

Heureusement, le travail lui changeait les idées, et elle y mettait toute son énergie, n'hésitant pas à faire des heures supplémentaires sans les compter. La morgue la coupait du reste du monde et l'enfermait dans cette bulle où elle se sentait bien, utile, efficace, appréciée. Ses collègues du NCIS étaient sympathiques, elle aimait bien traîner avec eux de temps en temps, quand ils n'étaient pas de retour dans leurs propres maisons, leurs propres vies. Malheureusement, du coup, lorsqu'elle rentrait chez elle, s'elle s'ennuyait. Et devait trouver mille et une façons de tuer le temps.

L'une d'entre elle consistait à aller siroter des Whisky Sour, sa boisson préférée, dans plusieurs bars de la ville. Posée au comptoir, elle discutait avec les barmen ou les gens de passage, et parfois passaient de bonnes soirées, loin de sa solitude. Elle changeait, mais avait aussi ses endroit de prédilection, maintenant qu'elle était de retour à La Nouvelle-Orléans depuis deux ans.

Ce soir, elle s'installa sur un tabouret et posa son sac sur le bar avant de passer commande. Ce n'était pas le barman de d'habitude, mais cette femme brune que Tess avait déjà vue quelque fois, une nouvelle arrivée dans l'équipe. Elle lui sourit poliment et lui commanda son Whisky Sour, avant de poser son coude sur le comptoir et son menton dans sa main, et de regarder tranquillement autour d'elle. La soirée ne battait pas encore son plein, mais le bar se remplissait gentiment. « Merci » dit-elle quand sa boisson fut servie. « Ça se passe bien pour vous ici ? Vous prenez vos marques ? » Elle avait l'air plutôt sympathique. « Je... Suis désolée, j'ai oublié votre prénom. Moi, c'est Tess ! » En bonne habituée qu'elle était, mieux valait se présenter, ça pouvait toujours servir.

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@Tess Navarro

Ce job, cette nouvelle vie à la NOLA, tout était si différent. Il était certain que servir des cafés et des boissons alcoolisées se trouvait à l’opposé de la suture et de la pose de diagnostic, mais au moins ici, une erreur ne risquait pas de tuer quelqu’un.

Elle avait appris sur le tas, formé par ses collègues et très vite elle maitrisa les bases du métier. Il faut dire qu’avant de travailler dans un bar, elle en avait fréquenté des tas, les recettes de cocktails n’avait aucun secret pour elle.

Ce qu’elle aimait particulièrement dans cette reconversion, c’était le contact client, pouvoir parler sans devoir leurs annoncer des catastrophes qui changeraient leurs vies. Discuter de tout et de rien, être l’oreille attentive à qui les gens aimaient confiés tout et n’importe quoi, l’alcool aidant pas mal.

Quelques mois que Sio travaillait ici maintenant, elle avait déjà repéré les habitués. Pour certain même leurs noms et une partie de leurs vies, pour d’autre que le visage.

Ce soir-là, il y avait cette femme posée au comptoir, elle l’avait déjà aperçu plusieurs fois.

Le peu d’expérience qu’elle avait acquis dans le métier, lui avait permis de constater que les femmes qui venaient seules, cherchaient généralement à noyer un mal-être. Alors que les hommes pouvaient venir seul pour draguer, regarder un match sans les potes accros à l’équipe adverse ou juste fuir des responsabilités de père, des raisons bien plus variées.

Dans le regard de cette inconnue, il y avait cette lueur triste, ce vide qu’elle voyait autrefois dans ses propres yeux en se regardant dans le miroir. Encore une âme désespérée cherchant du réconfort dans la boisson. Un vice que Siobhan ne pourrait jamais reprocher à qui que ce soit, comprenant que trop bien ce besoin.

Elle prit la commande, prépara et lui servit son Whisky Sour. « Ça se passe bien pour vous ici ? Vous prenez vos marques ? »

Sio lui offrit un sourire, ouvrit le lave-vaisselle afin d’occupé ses mains en essuyant des verres en même temps. « Plutôt bien, bientôt je pourrais préparer vos boissons les yeux fermés. » C’était toujours un plaisir pour elle de pouvoir prendre du temps pour échanger, plaisanter sur tout et n’importe quoi.

« Je... Suis désolée, j'ai oublié votre prénom. Moi, c'est Tess ! »  « Enchanté Tess, il n’y a pas de mal, moi c’est Siobhan. En tout cas, je tiens à vous dire que vous avez de bons gouts. » Elle argumenta en désignant avec ses yeux son choix de boisson.

« Je crois avoir compris que vous êtes une habituée des lieux. Je vous ai vu quelques fois » ça avait quelques avantages d’être physionomiste. « Vous êtes de la NOLA ? »

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@Siobhan O'Connell

Parfois elle prenait conscience que l'image qu'elle renvoyait pouvait être pathétique. Parfois aussi elle savait qu'elle attirait les regards des hommes qui traînaient seuls dans les bars pour des raisons différentes des siennes et elle avait du mal à les fuir sans faire de vagues. Parfois il y avait des gens comme Ezra — quelque chose se serrait toujours au fond de son ventre lorsqu'elle y repensait. Des gens qui avaient manqué de lui faire prendre un chemin pourtant interdit. Et parfois, les gens lui fichaient la paix et acceptaient simplement qu'elle avait le droit de prendre du bon temps après une journée de travail toujours bien — trop — remplie. « Plutôt bien, bientôt je pourrais préparer vos boissons les yeux fermés. » Tess sourit. « Enchanté Tess, il n’y a pas de mal, moi c’est Siobhan. En tout cas, je tiens à vous dire que vous avez de bons gouts. » Le regard de la barmaid fit sourire de plus belle Tess, qui hocha la tête. « C'est gentil de le reconnaître. Je reste peut-être très classique avec mon choix de prédilection mais au moins c'est une valeur sûre ! » Et surtout elle détestait qu'on lui propose des cocktails sucrés et colorés, parce que selon l'imaginaire collectif c'était ce que préférait les femmes ce qu'elle jugeait aussi débile que sexiste, alors elle était fière de son goût prononcé pour le whisky. Même si, en soi, elle ne l'étalait pas trop non plus. Elle avait conscience que si elle avait dû reconnaître que la plupart de ses soirées se passaient à boire, au bar comme chez elle, elle serait rapidement passée pour une alcoolique.

« Je crois avoir compris que vous êtes une habituée des lieux. Je vous ai vu quelques fois. Vous êtes de la NOLA ? » La discussion était engagée et Tess s'y laissa glisser avec plaisir. Tout plutôt que rester seule avec ses pensées ou bien ruminer les raisons désastreuses qui la poussaient à attendre des nouvelles de son mari qui n'était jamais là. « Oui et non. Je suis née et j'y ai grandi mais je l'ai quittée lorsque j'ai eu 18 ans, pour mes études. » Elle avait fui la ville et sa famille, pour être exacte. « Ensuite j'ai fait toute ma vie à New York, et me voilà revenue dans ma ville natale depuis deux ans maintenant. C'est étrange car tout est différent sans avoir vraiment changé. Ou peut-être c'est juste moi qui suis trop différente. Enfin, je ne sais pas si vous voyez... » Elle eut un geste vague de la main. Elle ne voulait pas l'ennuyer non plus mais elle ressentait toujours un sentiment étrange depuis qu'elle était ici : celui de ne pas être à sa place, sans pour autant avoir l'impression qu'elle avait sa place à New York si elle retournait. « Et vous ? Vous venez d'où ? » Les gens d'ici avaient souvent des histoires incroyables. Jamais une ligne droite toute tracée. « En tout cas, vous avez atterri dans l'un des meilleurs bars. Je les connais bien et... Même si je ne sais pas ce que ça dit de moi » ajouta-t-elle en riant un peu gênée « je peux vous assurer que l'ambiance est super ici. C'est une bonne pioche. » Certains bars n'avaient pas autant de cachet, ou d'ambiance, et certains étaient carrément proscrits, surtout pour une femme seule.

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@Tess Navarro

Il ne serait pas étonnant de constater que du whisky coulait dans les veines de Siobhan... Elle en avait tellement consommé dans sa vie… Alors quand elle rencontrait quelqu’un, qui plus est une femme, possédant les mêmes gouts pour cette boisson considéré comme « masculine », elle ne se faisait pas prier pour le faire remarquer.

Décidément, elles avaient des points communs qui promettait une bonne soirée à papoter. Bien que Sio était là pour bosser , l’absence du patron l’arrangeait – Quand le chat n’est pas là, les souris dansent –

« Oui et non. Je suis née et j'y ai grandi mais je l'ai quittée lorsque j'ai eu 18 ans, pour mes études. »  Siobhan aimait écouté la vie des gens, leurs paroles étaient parfois d’une richesse insoupçonnée. Beaucoup de personnes quittait la NOLA pour faire leurs études, à croire que "partout" était mieux qu’ici pour apprendre un métier.

« Ensuite j'ai fait toute ma vie à New York, et me voilà revenue dans ma ville natale depuis deux ans maintenant. C'est étrange car tout est différent sans avoir vraiment changé. Ou peut-être c'est juste moi qui suis trop différente. Enfin, je ne sais pas si vous voyez... » Sio voyait beaucoup trop bien, peut-être même un peu trop.

« Vous viviez telle une vraie citadine ! La vie devait être bien différente d’ici, je me trompe? » Bien que la NOLA soit une ville, certain quartier faisait très village, très intimiste. Ce qui n’avait pas l’air d’être le cas à New York, même si Siobhan connaissait cette ville uniquement à travers les films à l’eau de rose qu’elle s’évertuait à regarder fut une époque, époque qui semblait désormais être à des années-lumière d’aujourd’hui.

« Je vois très bien ce que vous voulez dire. » Sio se perdait dans ses pensées, ne cessant de se demander, ce qui se serait passé si elle n’était pas partis.

« Nous évoluons sans cesse, c’est surement ce qui doit expliquer pourquoi tout nous semble si différent quand nous revenons à la source. Quand vous êtes partie, vous étiez encore une adolescente avec plein de rêves. Vous êtes revenue après avoir vécu du positif comme du négatif, certain de vos rêves se sont envolé, la jeune femme que vous étiez avec. Pas que vous êtes vieille maintenant ! » Elle lui offrit un sourire, la maladresse avait toujours fait partie d’elle, aussi loin qu’elle s’en souvenait. Surtout que son interlocutrice était sans doute plus jeune qu’elle.

« Et vous ? Vous venez d'où ? » D’où venait-elle, c’était une bonne question, comme si ces deux ans passés loin d’ici lui avait fait oublier ses racines. « Je suis née ici, j’ai étudié ici, je suis partie quelques années en Irak, je suis revenue, puis repartis récemment pendant deux ans et revenu encore! Comme si naitre ici signifiait forcément revenir un jour ! » Sans trop entrée dans les détails elle avait plutôt bien résumé sa vie, l’indécision même de son existence.

« En tout cas, vous avez atterri dans l'un des meilleurs bars. Je les connais bien et... Même si je ne sais pas ce que ça dit de moi »  Sio lui lança un petit sourire se voulant rassurant et surtout bienveillant. « Vous savez je ne suis pas là pour juger qui que ce soit. Je comprends parfaitement l’envie de vouloir se détendre devant un bon verre de whisky après une journée de travail ou autre, peu importe le nombre de fois que vous le faites. Si ça peut vous rassurer, je l’ai fait bien de nombreuse fois aussi. » Fini-t-elle en chuchotant comme si il s'agissait d'un secret confidentiel. « je peux vous assurer que l'ambiance est super ici. C'est une bonne pioche. » Il est vrai que dans le hasard des choses, elle avait vraiment bien choisi. « Je veux bien vous croire, le personnel est bien sympathique. J’avais un peu peur en tant que novice dans le domaine d’être à la ramasse, mais il ne m’ont jamais donnée l’impression que je l’étais, même quand c’était le cas ! » Il faut dire qu’ils avaient surement besoin de trop de monde pour cracher sur un barman en plus.

« Et sinon, ça va ? Vous n’êtes pas trop embêté par certain client un peu lourdaud ? » Siobhan en visualisait deux en particulier qui étaient également de gros habitués, étant donné la fréquentation habituelle de son interlocutrice, Sio était sûr que Tess savait de qui elle parlait.

Ils étaient secrètement appelé « les perturbateurs », la présence d’un d'entre eux pouvait changer littéralement l’ambiance en un claquement de doigt. Mais comment mettre à la porte de si grands contributeurs au remplissage de la caisse ?